[Histoire de luttes] (Dark) romance : quand la politique influence la littérature

Avant-propos : en tant qu’auteurice avec un engagement politique fort, je me suis dit qu’il serait intéressant de ne pas limiter mes expressions politiques au seul contenu de mes livres et de vous livrer des articles, de temps en temps, pour parler de sujets qui fâchent, toujours dans le respect de l’autre et de ses convictions (j’ai dit « convictions », les discriminations restent des délits et ne sont pas des opinions, merci de bien le retenir, surtout si vous vous risquez à commenter).

Aussi j’ai décidé d’ouvrir une section « Histoire de luttes » où on va parler de ce qu’on a tendance à oublier, surtout en littérature : l’origine de certains mots et de certaines luttes.

Parfois cela aura trait (comme aujourd’hui) à la littérature, parfois simplement à des luttes qui me concernent et sur lequel je m’interroge et souhaite vous partager mes questionnements.

Pour l’article du jour, je tiens à préciser qu’en aucun cas, en aucune façon, je ne juge de votre consommation personnelle de (dark) romance; mon propos cherche à remettre l’Église au centre du village (et l’expression a vraiment un sens particulier pour le sujet en question) et à mettre en garde quant aux intrusions politiques en littérature.

Sur ce, bonne lecture.


TW discriminations en tout genre, apologies de délits et de crimes

De l’histoire de la femme blanche qui s’éprend pour un homme de couleur dans un univers dystopique qui met en scène du « racisme inversé » à l’étonnante relation entre un enseignant et son élève de 27 ans son cadet, en passant par un roman d’amour mettant en scène de l’inceste prétendument consenti, internet s’est emparé du fléau qu’est la dark romance.

Le problème, outre les contenus sur lesquels je ne reviendrai pas parce que suffisamment d’auteurices l’ont fait, dont Justine C.M. via son article « La dark romance : ce n’est pas ce que vous croyez », c’est que… ce n’est pas de la dark romance.

Et le fait que suffisamment de monde accepte l’idée que ça en est, de la nommer ainsi, est intrinsèque à une définition de la romance dont il est urgent de découvrir que non seulement elle est tronquée, mais surtout qu’elle fait et constitue le lit de la propagande d’extrême droite.

Bouclez vos ceintures, on va parler de la littérature de l’amour, de courants culturels et de gatekeeping.

Du romantisme et de l’amour

J’en ai déjà brièvement parlé sur les réseaux sociaux et compte tenu du fait que quelqu’un a réussi à me citer pour dire que “le romantisme c’est un courant culturel, rien à voir avec la littérature et la romance”, je pense qu’il est temps de rappeler quelques bases, à commencer par le fait que la littérature est un art (si si, je vous jure), que, par essence, elle est donc culturelle (oui oui, vraiment) et sujette aux courants culturels qui traversent nos sociétés et qu’elle est politique (comme tout art, voire comme tout, tout court).

Mais kézako, le romantisme ?

Ce terme galvaudé désigne, à l’origine, un mouvement culturel qui s’inscrit en une forme d’opposition au classicisme (et, dans une certaine mesure, dépendant des pays concernés, aux Lumières).

Oui, je sais, on dirait une définition du dico, on est obligés de parler du classicisme : il s’agit d’un courant qui s’est ressenti sous Richelieu et qui entame un processus de discrimination des œuvres selon des critères variés, plus ou moins problématiques, allant jusqu’à rejeter les œuvres de l’antiquité au profit de leur réécriture avec réappropriation.

Le sens du mot a varié dans le temps, notamment dans une forme que l’on exploite encore aujourd’hui dans le militantisme pour désigner une mouvance qui profite aux plus érudits et duquel on a d’ailleurs tiré une autre discrimination : le classisme.

Le romantisme, qui a suivi le classicisme, a cherché, en partie, à rendre la littérature à son public, à l’ancrer dans l’expression du sentiment et a ouvert les portes à la philosophie et aux histoires d’amour.

Il s’agit d’un mouvement qui s’inscrit donc dans une volonté de s’émanciper du pouvoir et ses dogmes.

Naturellement, il va faire émerger des récits variés qui iront la simple intention d’exprimer des sentiments face au monde, à travers le genre contemplatif (lisez Evana), à celle de faire rêver avec des histoires de cœur douces ou controversées voire encore interdites, pour l’époque, toutes classifiées comme relevant du roman d’amour ou roman sentimental.

On a donc un genre global, sous-genre du romantisme qui raconte des histoires d’amour où soit les personnages principaux sont un homme et une femme qui tomberont amoureux et vivront diverses péripéties jusqu’à finir par couler des jours heureux, soit les personnes principaux sont amoureux mais doivent faire face à des épreuves qui les séparent et doivent se battre pour exister et finir, ou non, ensemble.

Cette classification comprend donc des histoires “à l’eau de rose” et des histoires comme Roméo et Juliette ou encore Le Bossu de Notre-Dame.

Alors comment est-on passé d’une classification si simple, aux multiples sous-genres et à l’émergence de la dark romance d’aujourd’hui ?
Entrons dans le merveilleux sordide monde du gatekeeping d’extrême droite.

Quand la romance était une propagande et la dark romance une dénonciation

Nous venons de le voir, le romantisme a chassé le classicisme et a cherché à faire penser les gens, loin des idéologies dogmatiques des classes les plus conservatrices.

Qui aurait pu prédire que l’extrême droite allait chercher à reprendre le pouvoir dont on tentait de la priver ?

Sincèrement, en dehors d’Emmanuel Macron qui est incapable de prédire les conséquences du changement climatique malgré tous les lanceurs d’alerte du GIEC et qui ne voit pas le problème à soutenir Depardieu et à rendre hommage à Delon de l’exacte même façon, à peu près toute personne qui a la décence de ne pas parler de “monument national” pour parler de personnes qui ont un problème avec toutes les minorités.

Vous pensez que c’est un tacle facile ? Pourtant il est exactement dans le thème.
Le réveil de l’extrême droite face au romantisme est exactement ce qui a conduit à ce que nous nommons “romantisation” lorsque nous parlons de violences ordinaires.

Avec un pied ferme dans le milieu de la littérature et dans le langage en général, grâce, notamment, à la merveilleuse sordide instance qu’est l’Académie, l’extrême droite reprend si puissamment son pouvoir sur la littérature qu’elle parvient à faire changer puis tronquer dans l’esprit des gens, la définition de ce qu’est une romance.

Ainsi, aujourd’hui les gens vous diront qu’une romance c’est une histoire d’amour avec une fin heureuse.
Et ça, c’est le pouvoir de la manipulation mentale de l’extrême droite et la force de son gatekeeping.

Car la définition contemporaine, formelle, littéraire et sociologique de la romance c’est celle qui parle d’une histoire d’amour, entre un homme et une femme, acceptant des intrigues secondaires dès lors qu’elles servent l’intrigue principale d’amour, qui se finit bien et… qui est écrite par un homme.

Ah oui, vous l’aviez pas vu venir le plot twist de la fin.

Parce que vous aimez bien faire du gatekeeping sur le fait que les romances ça doit avoir une fin heureuse, en passant sous silence la queerphobie du reste de la définition que vous ne connaissez que très rarement, mais surtout en niant le sexisme de cette catégorisation parce que vous ignorez tout simplement que vos histoires d’amour “feel good”, écrites par des femmes, c’est de la “chick-lit”, en gros, des histoires d’amour de gonzesses parce qu’on a hiérarchisé à ce point le genre du roman d’amour.

Et je sais ce que tout le monde va me dire : non mais c’est pas vrai, c’est le truc théorique, c’est pas du tout la réalité du terrain.

Et je vais vous démontrer que c’est faux, en parlant de dark romance.

La dark romance : de l’alerte à l’apologie, en toute impunité.

Le problème du gatekeeping, en littérature comme dans n’importe quel autre domaine, c’est qu’il s’appuie sur du cherry picking.

Lorsque l’on parle de romance et qu’on dit qu’il est normal que la romance serve à catégoriser les histoires d’amour qui ont une fin heureuse, que « c’est pas vrai, plus personne ne catégorise chick-lit, la preuve la semaine dernière, j’ai lu une pote qui écrit de la romance », c’est du cherry picking, c’est une forme d’invisibilisation de l’écrasante majorité des cas où on suit la catégorisation « traditionnelle ».

La même chose permet d’inventer que la dark romance serait un phénomène nouveau.

En acceptant et promouvant ces discours, on fait précisément le jeu de l’extrême droite et on protège non pas un genre qui n’a jamais eu vocation à parler d’amour, mais un sous-genre issu du puritanisme.

Et comme un bon exemple vaut mieux que mille mots : Mal de Pierres.

Si vous ne connaissez pas, j’en parle en partie dans un article consacré au traitement des héroïnes au cinéma (TW VSS, crimes, suicide, discriminations diverses) : https://apprendre-le-storytelling.com/film-quand-on-sacrifie-ces-heroines-quon-ne-saurait-ecouter/

Si le film est catégorisé romance en plus d’être catégorisé drame, ce n’est pas par hasard.

Il correspond factuellement à la définition de la romance : il y a un homme et une femme, des intrigues autour de leur histoire d’amour et à la fin, ils finissent heureux, selon les critères de bonheur de l’extrême droite.

Parce que ceci rentre dans la norme de la romance, lorsque ce genre a été réinventé par les mouvances conservatrices, tout ce qui s’inscrit en porte-à-faux et promeut un amour interdit, relève de la dark romance, où l’on classera alors Roméo et Juliette (familles rivales, amour interdit, fin tragique) ou encore Le Bossu de Notre-Dame.

Seulement voilà, le problème, c’est que ça se voit et, rapidement, le peuple qui a connu le romantisme et a vu l’émergence de cette littérature prohibée comprend bien que la dark romance est une forme de progressisme littéraire, ce qui pose problème à nos conservateurs préférés.

Il ne leur reste donc qu’une solution : faire en sorte qu’on oublie l’existence de la dark romance et qu’on la réinvente, comme si elle naissait, avec des contenus illégaux et immoraux au regard de ce qui nous est contemporain.

On reclasse “roman d’amour” ou “roman sentimental” ce qui relevait autrefois de la dark romance et un habile tour de passe dans les librairies physiques comme numériques crée un flou entre roman d’amour et romance s’agissant des contenus queer.

Ensuite, lorsque l’on n’a pas touché à la dark romance depuis suffisamment longtemps pour que tout le monde ait oublié qu’elle remonte au XVII siècle, on “crée” la catégorie pour y placer des ouvrages comme 50 nuances de gray, un livre qui se cache derrière une fausse apparence spicy progressiste sur fond de BDSM pour réellement être un début d’apologie de certaines formes de VSSC.

L’engouement pour cette œuvre particulière permet l’édition toujours plus rapide de nouveaux contenus, si bien que dans la décennie qui a suivi, tout le monde s’est mis à considérer que la dark romance sert à classifier les contenus qui racontent une histoire d’amour qui défie la loi et la morale… 

Dans les apparences, c’est comme au premier jour.
Dans les faits, on l’entendait originellement au sens de la dénonciation de lois et de morales dogmatiques et discriminatoires qui devaient être dénoncées et combattues.

Désormais, on l’entend au sens de l’apologie, du récit faussement subversif qui sert à défendre les pires théories.

Si on dresse un rapide résumé de tout ceci, on obtient ceci : 

  • le romantisme contribue à la création (ou en tout cas la définition officielle) du roman d’amour
  • le retour de l’ED dans la sphère littéraire décrète la séparation entre la romance qui va narrer les histoires d’amour discriminatoires qui lui plaise et les autres genres
  • les enfants du romantisme vont faire émerger la dark romance pour parler des histoires interdites par les idéologies d’extrême droite
  • l’extrême droite confisque le terme de dark romance, tout est soit romance, soit roman d’amour/sentimental
  • quelques décennies plus tard, l’extrême droite fait ré-émerger le terme de dark romance, avec une définition similaire à celle d’origine mais qui revêt un sens tout à fait différent dans des sociétés qui se sont affranchies d’un certain nombre de dogmes, et s’en sert pour promouvoir des contenus hautement problématiques.

Et la conclusion de tout cet historique crasse, c’est une amplification du phénomène de romantisation : sous couvert de produire des récits de fiction, on crée toujours plus de contenus qui vantent des idées problématiques, comme si la société y était imperméable et comme si ça n’entraînait pas précisément la banalisation des violences espérée par l’extrême droite.

Une pratique courante dans la littérature en général, comme on l’a vu lorsque des gens ont découvert que La Servante Écarlate relevait non pas de la dystopie, mais bien de la fiction historique, ou encore comme on le constate quotidiennement avec une tolérance accrue à la promotion de la pédocriminalité dès lors qu’elle revêt une forme fictive, comme si c’était une excuse.

Alors on fait quoi, face à ce constat ?

De l’urgence de réformer la littérature et de faire appliquer la loi

Quand un arbre pousse parasité, la meilleure solution pour le préserver consiste à l’amputer des branches qui ont été dévorées de l’intérieur.

Quand on parle de la littérature et de ses genres, il est facile de localiser le parasite : là où il œuvre, les mots désignant les genres sont devenus creux et pour survivre l’arbre a créé des dizaines de branches tertiaires.

Ces branches n’existent que pour des raisons politiques (d’aucuns diraient marketing mais je rappelle que c’est une pseudo science au service de la politique) et trop souvent d’extrême droite.

Revenons aux fondamentaux et scions les branches qui, de toute façon, se meurent.

Et pour ce faire, il n’existe que 3 solutions : la rupture, la confrontation, la justice.

La rupture, c’est un coup de hache bien net : le milieu littéraire prend conscience de ce qu’il se passe et chacun prend ses responsabilités en cessant de travailler avec des auteurices et/ou des éditeurices d’extrême droite.

La confrontation, c’est le coup de fumée dans le trou laissé par le recul du parasite : ici, le gaz qui va étouffer la bête, ce sont les chroniques pros qui décortiquent méticuleusement tout ce que les œuvres ont de problématique.

Et la justice, c’est quand on constate que le parasite a fui pour aller faire un rejet plus loin et planter un nouvel arbre, qu’on décide de le tronçonner et qu’on brûle la souche pour s’assurer que cette fois ça ne repoussera nulle part.
Cela demande un peu plus d’énergie et prend la forme d’une plainte pour apologie d’un crime, de violences, de discriminations (ou autre motif légal applicable) à l’encontre de l’auteurice ou de l’éditeurice pour obtenir le retrait du livre de la vente et possiblement l’obligation de publier leur condamnation sur leurs RS et leur site internet (et je rappelle qu’il y a de nombreux précédents, quoi que l’ED raconte chaque jour).

Parce qu’il devient crucial de rappeler aux gens que la liberté d’expression trouve ses limites dans l’observation des autres lois et que le fait que ça soit de la fiction ne permet pas davantage d’écrire ce qui nous passe par la tête si nos idées contribuent à la mise en danger de certaines populations ou à l’apologie de délits ou crimes.

Et parce qu’il faudrait peut-être s’interroger sur ce que ça dit de l’univers littéraire français quand on a une maison d’édition qui est principalement connue à l’étranger pour sa complaisance complicité envers des (pédo)criminels promouvant leurs fantasmes à travers des œuvres refusées partout ailleurs pour les raisons légales susmentionnées.

Si nous devions exceptionnellement (ou pas, d’ailleurs) avoir une âme patriote, il serait de bon ton qu’elle nous serve à refuser que notre pays et notre littérature devienne le principal pilier de soutien aux apologies et à ce que l’humain fait de pire.

Ensemble, auteurices, éditeurices et libraires, luttons pour une littérature qui fasse rêver, réagir, pleurer, mais surtout qui n’existe pas dans le seul but de détruire les luttes conduites aux fils des siècles, pour que l’amour, au sens large du terme, reste exempt de toute apologie crasse, de toute stigmatisation, de tout appel à banaliser ce qui semble pourtant plus que condamnable.

Et surtout mettons fin à une hypocrisie, celle de justifier de faire preuve de complaisance envers la fausse « dark romance » contemporaine d’ED quand on prétend condamner, par ailleurs, le trauma porn… On en parle prochainement.

D’ici là, lisez ce que vous voulez; achetez, empruntez en bibliothèque (ça nous rémunère aussi !) et faites la promotion des auteurices que vous aimez, même en une ligne pour dire que vous venez de terminer un livre, même sans poster d’avis, juste quelques mots pour dire « je vous vois », vous n’imaginez pas tout ce que cela apporte aux plumes que vous citez 😉

Fais tourner !

2 réactions sur “ [Histoire de luttes] (Dark) romance : quand la politique influence la littérature ”

  1. Ping « Tu ne peux pas dire qu’un livre banalise, romantise ou fantasme X violences, c’est une interprétation personnelle » - Eriel Quill Edito EI

  2. Ping Plumetober jour 1 : étoile double - Julie -Animithra- FERRIER

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