Noël : l’enfant aux allumettes et les obscurs rituels

Avant propos : TW ASE (et tout ce qui en découle), nourriture non végane
Cela fait quelques jours que je vois passer des posts et réels en soutien aux personnes qui passent Noël seules et parmi les contenus que j’ai consommés, il y en a un qui insistait sur le fait que lorsque notre situation ne constitue pas une exception et découle d’une oppression, ça peut aussi être l’occasion d’en parler.
Alors… parlons…

Je dédie en partie cet article à ma mère, qui a tant été broyée par le système, et à mon père, que je n’ai connu que 7 mois par la faute du même système, puissiez-vous reposer en paix.
Les prénoms ont été modifiés, non pas que ça empêchera la principale personne problématique de faire perdurer la diffamation et la nuisance à mon égard.


Noël, chez la plupart des gens, c’est synonyme de fête, de famille, de chaleur, bref, de bons souvenirs. Chez les enfants placés, c’est une toute autre histoire et je m’en vais vous conter la mienne (attention, donc, c’est MON expérience, elle est unique, j’ai eu de la chance par rapport à des adelphes, notamment les personnes qui ont grandi en foyer).

Commençons déjà par présenter les protagonistes : mes parents d’accueil, appelons les Roger et Marguerite (je sais que tu détestes ton deuxième prénom parce qu’il fait « vache », si tu avais été moins « peau de vache », je te l’aurais épargné, I’m a bitch named karma <3), mes frères d’accueil (appelons l’ainé Abel, et le second né Caïn – oui bibliquement c’est pas ça, mais la vie aime jouer des tours), ma mère biologique (appelons là Waïba, juste parce que j’adore ce prénom), mon père biologique (appelons le Antonio).

Quand on me parle de Noël, j’ai un souvenir heureux qui me vient à l’esprit, sincèrement le seul que je possède encore : la mise en place des décorations. Roger installait un sapin que l’on ornait de guirlandes, boules, etc, mais aussi tout un espace sur lequel on reconstituait un village entier avec des santons (une tradition du Sud de la France que j’affectionne toujours, même si je ne fête plus Noël).

Pourquoi est-ce le seul souvenir heureux que j’ai de cette période ? Parce qu’être un enfant placé, c’est un peu comme être la petite fille aux allumettes : vous vivez dans l’obscurité des rituels des autres et rapidement, vous êtes à court de source de lumière et de chaleur.
Et vous finissez par être une personne incapable, encore aujourd’hui à 37 ans, de dormir dans le noir; allez y, fendez vous la poire, je ris régulièrement de ce trauma que je ne dépasse pas, j’ai l’habitude, par contre allez vous faire foutre si vous avez pitié, j’ai pas besoin de votre pseudo compassion, j’ai déjà subi avec « l’éducation nationale », merci.

Où en étais-je ? Ah oui, les rituels.
Pour bien situer ce que j’ai vécu, il faut que je vous raconte comment j’ai fini placée. Vous allez voir c’est très simple. Vous prenez une structure étatique, vous lui donnez deux valeurs clés que sont le racisme et le validisme et paf, ça fait des chocapics des placements sur des motifs sympas; on l’a encore vu il n’y a pas si longtemps avec la mort d’un adelphe parce qu’il était autiste et que l’État trouvait que ça faisait sens de l’arracher à sa mère qui s’en occupait bien, parce que bon, quand même handicap et une famille descendante de l’immigration, c’était un risque à prendre (non).

Dans mon cas, j’ai eu la bonne idée de cumuler d’être hispano-descendante et afro-descendante, bonus mère schizophrène et il se trouve que l’État a trouvé bien plus intéressant de « gérer » les difficultés de ma mère en me plaçant et en s’assurant de bannir mon père de ma vie que d’aider ma mère à accéder à l’aide dont elle avait besoin.
Et pour s’assurer que ça serait une solution durable, tout document ayant trait au côté paternel de ma famille n’a jamais atteint mon dossier et a été détruit.

Ensuite, premier rituel : chaque année, l’ASE faisait tout son possible pour me forcer à passer Noël avec ma mère.
Encore un peu de contexte à ce sujet : j’ai été enlevée à ma mère après mon premier anniversaire et je suis restée à la « maison de l’enfance » (une structure de l’ASE sorte de foyer niveau pédiatrique) jusqu’à un peu plus que mes 2 ans.
Donc j’ai fait un Noël sur place, j’y reviens un peu plus tard.
Ensuite, après mon placement, ma mère qui bénéficiait d’un droit de visite pour un weekend complet toutes les quinzaines n’a jamais voulu exercer pleinement ce droit, elle venait me voir le dimanche et c’est tout.
De mes 4 à mes 6 ans, elle a disparu, elle est revenue enceinte.
Et à partir de mes 8 ans, s’est instauré le rituel de l’ASE me harcelant pour que je passe Noël avec une femme dont je ne savais pas grand chose.

Il est tout à fait possible que vous vous demandiez pourquoi diable je ne profitais pas de l’occasion pour justement mieux la connaître. Et la réponse c’est : l’anxiété. Je faisais d’énormes crises d’anxiété à cette occasion. Et si vous me lisez régulièrement, vous savez que l’anxiété, c’est votre enfant intérieur qui vous tire la manche pour attirer votre attention sur le fait que vous avez déjà vécu une situation similaire et que ça s’est mal fini.
Alors une crise sévère d’anxiété tous les Noël, quand on a 8 ans, c’est pas bon signe.
Sauf que personne ne comprend (ou en tout cas, tout le monde fait semblant d’ignorer la cause) et chaque année, cela débouche sur des conflits au point qu’à 12 ans, ma mère me reniera sur ce motif; on ne se verra plus pendant 3 ans puis une nouvelle crise mettra définitivement fin à notre relation.
Durant cette période, Waïba me racontera que tout le monde me ment, me manipule, elle partira et cèdera sa place à une autre identité, violente, physiquement et moralement, qui ira jusqu’à menacer ma famille d’accueil et une juge.
Mais tout ce qui ressortira de ça, c’est que je suis la fautive.
Au point que l’ASE écrira dans un rapport au JAF où je vais tous les 2 ans, que je suis une petite garce qui pense pouvoir décider.
Manquerait plus que les enfants placés aient un mot à dire sur leur sort. Mon sort, c’était des appels le vendredi à 19h pour m’ordonner d’aller chez ma mère le dimanche et me traiter comme un numéro de dossier toute l’année.

Bref, cela a continué jusqu’à mes 16 ans et une délégation de l’autorité parentale.
Puis à mes 17 ans j’ai vu une psy qui a voulu enquêter sur ma peur du noir. Contrairement à moi, elle pouvait accéder à plus que mon dossier de base auprès de l’ASE.
Le Noël de ma première année, ma mère est venue me voir à la maison de l’enfance, dans un petit studio aménagé. Quand ça a été assez long à son goût, au regard notamment de la pression et des tourments que lui causait l’ASE, elle est partie. Elle a éteint la lumière et elle est partie. J’ai été trouvée là, dans le noir, des heures après.

C’est incroyable comme le cerveau peut imprimer un trauma même à un âge où t’es pas censé avoir de mémoire.
Bref.

Vous devez vous dire que si c’était un rituel pénible que d’avoir l’ASE sur le dos chaque année pour finalement ne jamais passer la totalité de Noël avec ma mère, je devais au moins pouvoir être en paix dans ma famille d’accueil.
Je croyais vous avoir dit que mon seul souvenir joyeux c’était les décorations ?

Je suis autiste. N’en déplaise à Marguerite qui a mis un point d’honneur, dès mes 6 ans, de me hurler dessus d’arrêter de faire des trucs d’autistes parce que j’étais pas autiste, bla bla bla.
Jusqu’à mon entrée au collège, elle cuisinait tous les Noël, principalement du gibier, principalement du sanglier.
Sans parler du goût de la chose, l’odeur m’était profondément insupportable, ça me tordait les boyaux, bonjour les hypersensibilités.
Alors il y avait un double rituel sympathique : m’appeler pour transporter des trucs de la cuisine à la salle à manger quand ça cuisait et que ça empestait, d’une part, et d’autre part, s’assurer que je sois assise en face du foutu endroit où on poserait le plat de viande parce que… pourquoi pas.

La bonne nouvelle, c’est que je n’étais pas la seule personne à table à pas forcément passer un bon moment. Abel s’est rapidement retrouvé marginalisé, critiqué, au profit d’un Caïn qui était bien content de faire le jeu de Marguerite, comme quoi, sacrifier son frère au profit d’une sorte de déité narcissique, c’est so année 90, mais je m’égare.
Le temps a fait son effet et on a fini par ne plus faire Noël tous ensemble, ce qui a donné l’occasion à Marguerite de décréter qu’elle ne passerait plus sa vie en cuisine parce que c’était chiant et… c’est un point sur lequel je suis d’accord, j’ai jamais compris le besoin des gens de passer une journée (épuisante) en cuisine pour ne pas vraiment pouvoir profiter de la soirée.

Et puis c’était l’occasion de me libérer des rituels oppresseurs.

AHAHA, je déconne, vous avez oublié pour les valeurs de l’ASE ou vous commencez à vous assoupir à cause de la longueur de mon histoire ?

Caïn étant ce qu’il est, Abel hors course, il fallait bien trouver quelqu’un d’autre et il parait qu’il a clamé un jour que j’étais « son projet personnel »; il est devenu enseignant en IME, je vous laisse en déduire son degré d’allégeance au système et son validisme.
Comme il était hors de question de ne plus pouvoir se divertir avec mes surréactions, il a eu deux idées de génie : identifier une autre hypersensibilité que j’avais et transformer le déroulement de la soirée pour que ça soit plus « fun », encore, pour eux.

Oui parce qu’endurer d’être à table, ok, mais à un moment j’allais me coucher, ou m’occuper avec un bon livre, au prétexte de laisser les adultes entre eux (j’ai 13 et 16 ans d’écart avec mes frères d’accueil, c’était parfait). Sauf que j’ai grandi, donc je pouvais bien être occupée avec eux, surtout si on faisait des jeux de société.
Le plus drôle ? Faire des parties de trivial pursuit, évidemment.

La première fois qu’on a changé le déroulement des Noël, je l’ai pas vu venir.
Le repas s’était bien passé, on avait tartiné des canapés, partagé des fruits de mer avec Roger, bref, bon moment.
Puis vint le dessert.
Vous savez ce qui est pire pour moi que l’odeur du gibier ? Non, vous savez pas parce qu’on se connaît pas, donc je vais vous le dire : la peau des agrumes. La peau intérieure des agrumes.

Si vous pensez que c’est juste que la toucher me pose problème comme pour le polystyrène, je vous arrête tout de suite, je parle pas d’être dérangée par quelque chose, je parle de faire une réaction démesurée. Toucher la peau des agrumes me cause d’avoir l’impression que mon sang bout littéralement et me déclenche de violentes crises de psoriasis sur la totalité du corps, un psoriasis si violent qu’il m’arrive d’avoir la peau qui craquèle jusqu’à saigner, c’est bon pour vous ?

La première fois, on m’a forcée à ouvrir ma clémentine, en me jurant que ça le ferait pas. Et quand on est conditionné par l’ASE à ne pas pouvoir dire non, on ferme sa gueule et on s’exécute.

La deuxième fois, Roger a anticipé et a ouvert ma clémentine. Et connement j’ai cru que le danger était écarté. Vous avez déjà vu des narcissiques renoncer facilement ? Moi non plus. Alors le petit jeu est devenu « tout faire pour que Ju’ finisse avec une peau de clémentine dans la main ».
Me faire fermer les yeux, faire des défis, planquer ça dans la poche d’un gilet pour que je finisse par me demander ce que je sentais dans ladite poche et que je plonge la main…

Jusqu’au jour où j’ai arrêté parce que c’était plus facile d’endurer les boutades le harcèlement qui cachait son nom que de subir les conséquences physiques.

Et puis on passait au jeu.
Je lis depuis mes 3 ans, je lis des romans et du théâtre classique depuis mes 6 ans, j’ai écrit une pièce de théâtre à 9 ans et c’est une source de fierté pour Marguerite quand ça lui sert à obtenir des félicitations et de la gloire auprès d’autrui; dans le cercle familial, c’est une source d’exigence; je dois savoir, sinon c’est que je fais exprès et je me fais remonter les bretelles.

Sauf que je suis neuroA avec deux caractéristiques relatives à mon apprentissage : 1 je suis une bille en géographie car je suis incapable de repérage dans l’espace (y compris de mon propre corps); 2 je ne retiens que ce qui est concret et est susceptible de me servir un jour.
Autant dire qu’au trivial pursuit, les sections bleue (géographie), rose (divertissement) et orange (sport) m’étaient très hors de portée… et était un excellent support d’attaques personelles.

« Tu te fais plus bête que tu ne l’es.
On attend jusqu’à ce que tu trouves, réfléchis un peu.
Si tu ne veux pas y mettre du tien…
C’est plus drôle si on joue vraiment… »

Tout ça pour dire que globalement, Noël dans mon enfance, c’était plus une plaie et une source de maltraitance silencieuse qu’autre chose.
Et du coup, on me demande souvent « mais pourquoi ça va pas mieux à l’âge adulte, surtout que tu as des enfants ? »
Cela ne va pas mieux parce que déjà, dans ma vie d’adulte, j’ai passé trop de Noël avec Caïn jusqu’à ce qu’il me fasse un caca nerveux parce que soi-disant je priorisais Abel (ce qui était factuellement faux, mais avec le recul, ça aurait été pleinement justifié par le fait qu’Abel me respecte) et qu’ensuite il coupe les ponts parce que… fut une époque j’osais gagner mieux ma vie que lui (sur le papier, dans les faits, c’est autre chose).

Puis j’ai… retrouvé Antonio, au mépris des efforts de l’ASE pour empêcher que cela se produise.
Nous nous sommes retrouvés un été, fin juillet, nous avons fêté Noël ensemble et au printemps suivant… il est décédé.
7 mois.
C’est le temps auquel j’ai eu le droit avec mon père biologique, grâce à l’ASE.
Mais si court que ce temps fût, Antonio m’a fait le plus beau des cadeaux. Il savait que tôt ou tard, il faudrait qu’il me parle de sa relation avec Waïba, de comment elle était partie, de comment elle a lutté pour que je ne le retrouve jamais, comment elle a menti en prétendant qu’il ne voulait rien à voir avec moi. Et il aurait pu être en colère, il aurait pu me dire les pires atrocités à son sujet.
Il ne s’est autorisé qu’une seule phrase à son sujet :

« Ta mère était la plus belle femme du monde et elle était plus intelligente encore. »

Rien, rien au monde n’aurait pu être un plus beau cadeau que ces mots, parce qu’ils ont été un pansement sur l’entièreté de mes blessures. Ils m’ont permis de pardonner ce qu’elle m’avait fait endurer, de me remémorer qu’elle était aussi victime de l’ASE et m’ont autorisé à me reconstruire.

Après le décès d’Antonio, je me suis fait une promesse : ne plus re-fêter Noël, pour me souvenir de cette phrase et surtout de sa voix, que j’ai si peu entendue dans ma vie. Un engagement renforcé au décès de Waïba et aux vérités découvertes depuis lors, sur les manipulations que j’ai subi de l’ASE et ma mère d’accueil à son encontre; une connaissance trop tardive pour m’épargner bien des regrets, mais passons.

Avance rapide jusqu’en 2018, où après m’avoir fait vivre un enfer, mon ex conjoint a décidé d’organiser Noël chez nous, en toute connaissance de cause.
Confronté, il me répondra que « oh, j’avais oublié, grandis un peu, ce n’est qu’un détail ».
Ce qui a achevé de me faire haïr cette fête.

Pour moi Noël c’est ça : se réunir autour d’une table, avec un souffre douleur désigné et l’enchaîner de toutes les manières possibles, de préférence sournoisement.
Et je ne peux pas dire que les gens me fassent démentir; quand je lis vos repas avec vos tontons racistes, vos tantes queerphobes et compagnie, finalement, nos expériences se ressemblent.

Alors chaque année je passe Noël seule.

J’ai coupé les ponts avec ma famille d’accueil (à l’exception d’Abel) à cause de ce que j’ai vécu jusqu’en 2018 à leur contact, je n’ai pas vraiment des proches avec qui partager ces moments, je laisse donc mes enfants profiter de leur famille paternelle et on ouvre les cadeaux ensemble, à leur retour, avant de fêter ensemble les opportunités qu’offre la nouvelle année.

Tout le monde y trouve son compte, je passe pour la personne super souple avec ses ex et je reste dans ma quiétude. Je ne tombe plus à court d’allumette, j’ai la chaleur d’un Noël avec mes « enfants animaux » et le confort que j’avais lorsque j’étais l’enfant dans le placard; mais ça, c’est une histoire pour un autre jour.

Pour conclure ce récit bien trop long : Noël c’est pas la joie pour tout le monde. C’est souvent un enfer pour les placés, c’est la même chose pour nos adelphes neuroA que le bruit et le grand nombre de personnes affectent, mais aussi pour nos adelphes queer qui sont harcelés, menacés, ou juste totalement exclus. Normalisez le fait que passer Noël seul, loin du tumulte, contribue à la préservation de notre santé mentale, normalisez aussi que Noël soit pour notre famille de cœur, notre famille choisie, plutôt que notre famille de sang ou presque.

Et prenez soin de vous, c’est le plus important.

Fais tourner !

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