As-tu prêté une attention particulière à l’acronyme formé par le titre de premier agent double galactique ?
Oui, ce livre est une collaboration !
Et elle s’étendra à une adaptation en BD !
Voilà, c’est tout, c’était l’info bonus avant le chapitre de découverte qui, je l’espère, te donnera envie de suivre les infos relatives à ce projet et à nous suivre sur les RS, notamment Facebook :
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(ref à Maitre Duroc : https://www.facebook.com/Fanou3Dprint)
Chapitre premier – Les luttes à mener.
Ce dimanche soir était un dimanche soir comme il y en a tant.
Je rentrais d’une mission pour le G42, sorte de service secret gnome chargé de la sécurité des différents terrestres, pour qui j’incarne notamment des personnages, dans la culture humaine, pour répandre des messages de solidarité, comme de mise en garde.
Initié aux différents arts des humains, comme la musique et la comédie, ma couverture est on ne peut plus solide ; pour le commun des mortels, je suis juste un artiste qui donne des notes ou de sa voix à différents projets ; dans les faits, cela me permet de vérifier que tout le monde vit en harmonie avec les créatures dites “fantastiques” que les humains croient disparues.
Ainsi, j’avais passé deux jours au contact des humains, à les faire rêver avec ma voix, à faire un peu le pitre, pour les faire rire et j’entendais bien prendre la soirée pour ralentir et me ressourcer.
Cela ne s’est simplement pas passé tout à fait comme prévu.
Allongé sur mon canapé, alors que j’essayais de faire le vide dans mon esprit, j’avais encore en tête cette légende dont un vieux gnome m’avait discrètement parlé.
Le G42 envoyant rarement des agents sur le terrain quand un infiltré s’y trouvait déjà, cela m’avait surpris de le croiser.
Mais ce dont il m’avait parlé m’avait intrigué encore davantage.
L’Astralia.
Une magie oubliée que certains terrestres pourraient encore maîtriser, alors qu’elle prend ses sources dans le pouvoir des Célestes.
Il avait sorti cette immense cartographie de l’Astria, l’univers tel qu’il existe réellement et non l’infime portion que les humains ont identifié et qui ne constitue qu’un grain de sable dans l’immensité de la réalité.
Et il avait affirmé que toute personne possédant la maîtrise de l’Astralia pouvait voyager où bon lui semblait, d’un battement de cils.
Il avait balayé la carte de sa toute petite main, nommant chaque système, chaque planète les composant, chaque nation vivant sur place, avant de désigner l’Amarmenel, “le monde du ciel”, lieu de vie des Célestes.
“Imaginez, Cher Précieux Agent Discret Gnome, les savoirs et les technologies auxquels nous aurions accès si nous pouvions nous rendre chez les Célestes !”
Il croyait fermement que je pouvais utiliser cette magie dont je ne savais rien de plus que ce qu’il venait de m’en dire.
Je riais de bon cœur ; les Gnomes ne manquaient jamais d’imagination, au point de faire preuve d’une candeur fascinante ; après tout, ils avaient cru sur parole un Céleste qui leur avait vendu la légende selon laquelle la Terre était en réalité le fameux Discworld de Pratchett ; tous les artistes terrestres ne sont pas des agents du G42 et certains l’oubliaient fort vite.
Je n’étais, cependant, toujours pas en train de ralentir.
Fermer les yeux.
L’Amarmenel… Je me demandais quand même à quoi il pouvait ressembler.
Respirer.
Plus lentement.
Ressentir la position de mon corps.
L’Amarmenel.
D’où venait cette odeur, si douce, de fleurs ?
L’Amarmenel.
Il fallait que je rouvre les yeux.
Quelqu’un m’appelait.
Étais-je en train de rêver ?
Il fallait que je rouvre les yeux.
Le plafond que je m’attendais à découvrir après ces quelques secondes écoulées les yeux clos avait laissé place à une immense vitre, donnant sur un ciel d’un bleu immaculé.
Me redressant lentement, je découvrais la pièce qui m’entourait.
Le verre qui faisait le plafond descendait pour former les murs, comme si j’étais dans une bulle, flottant dans les airs.
J’étais sur un lit drapé de blanc, le mobilier était d’une couleur similaire, légèrement nacrée.
Un bureau arrondi, épousant parfaitement la courbure de la pièce, semblait attendre que je m’y installe.
Des photos de mes enfants, de quelques amis et d’autres agents du G42, étaient disposées çà et là.
Et au centre du plateau vernis du bureau, une enveloppe portait la mention PADG.
Je l’ouvrais délicatement et en retirais minutieusement la lettre.
La même odeur de fleurs vint bercer mes sens ; elle me semblait étrangement familière, sans que je ne sache exactement pourquoi.
Le début du courrier m’apportait la réponse.
“Cher PADG,
Si vous lisez ces mots, c’est que vous avez été remis sur la voie qui est la vôtre.
Cette chambre vous a attendu, une éternité durant, avec des souvenirs, des fragrances, des textures, issues de chacune des existences où vous êtes finalement parvenu jusqu’à ce lieu.
Peut-être qu’il ne vous dira rien.
Peut-être vous rappellerez-vous pourquoi vous étiez ici la dernière fois et peut-être pas.
Et tout cela importe peu.
Aujourd’hui, une voie vous attend, un rôle à jouer.
Si vous êtes prêt à embrasser un nouveau pan de votre destinée, il vous suffit de le penser.
Sinon, un battement de cils constituera votre moyen de transport pour vous en retourner d’où vous venez.
De tout cœur, j’espère que vous accepterez de découvrir les nouvelles aventures qui vous attendent, comme vous l’avez toujours fait par le passé.
Célestement vôtre,
Elyona.”
Du lilas.
Dessiné en bas de la page, je m’aperçus que c’était le parfum de cette fleur qui avait éveillé quelque chose en moi, dès mon arrivée.
Tout semblait très familier et singulièrement étranger dans le même temps, comme lorsque l’on fait un rêve lucide, encore et encore et que le décor nous apparaît, finalement, comme une seconde maison.
Je n’étais pas sûr de comment j’étais parvenu jusqu’à ce lieu, mais je pouvais sentir que j’y étais en sécurité, que j’y avais une portion de moi-même, que j’y avais ma place.
Et puis… un peu d’aventure ne faisait jamais de mal à personne, d’autant que je ne ressentais plus la moindre fatigue, ni le moindre engourdissement de mon week-end sur le terrain.
J’étais prêt à embrasser cette autre destinée et sitôt que cette affirmation avait conquis mon esprit, une porte apparut, au beau milieu de la pièce.
Cela aurait dû m’étonner, pourtant, tout au fond de moi, je m’y attendais.
Il était temps de saisir la poignée et de franchir le seuil, d’un pas, vers une nouvelle aventure.
***
De l’autre côté de la porte se trouvait un salon, tout aussi lumineux, dont l’architecture rappelait celle de la chambre.
Une femme m’accueillit.
Ses yeux lilas et ses longs cheveux tressés, de la même couleur, me semblaient également familiers.
D’un sourire et d’un geste de la main, elle m’invita à prendre place sur un canapé, face à une petite table ou le thé attendait d’être servi.
Son regard semblait disséquer mes pensées.
Elle rompit finalement le silence.
“Je me présente, je suis Elyona, c’est moi qui ai écrit la lettre que vous avez trouvée dans votre chambre.”
Ses lèvres n’avaient pas bougé, pourtant, j’aurais juré l’avoir entendue distinctement.
Les légendes gnomes concernant la télépathie des Célestes étaient donc fondées.
Elle déposa une tasse devant moi, tandis qu’entraient dans la pièce différentes créatures, dont un autre Céleste et le vieux gnome qui m’avait parlé de l’Astralia.
Il souriait.
“Je vous présente Trazarius, mon bras droit et général des armées Célestes, ainsi que Genann, un ami que vous avez déjà rencontré, il me semble.”
J’acquiesçai d’un signe de la tête, me demandant si je pouvais également communiquer sans dire un mot.
“Nous le pouvons tous ici, sinon vous n’auriez pas pu atteindre l’Amarmenel, il faut du sang Céleste pour y parvenir.
Et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous vous voulions ici.
– Ce qu’Elyona essaie de vous dire, c’est que nous savons, par le biais de Genann ici présent, que vous êtes un agent du G42 et nous voudrions faire de vous un agent des Célestes.
– Vous voulez faire de moi un agent double ?
– Nous voulons refaire de vous le Premier Agent Double Galactique.”
Refaire.
La lettre disait effectivement que j’étais déjà venu en ces lieux.
Pourtant, aucun d’eux ne m’était familier.
“Je t’avais dit qu’il n’était pas prêt et qu’il n’accepterait pas, c’est une erreur, Elyona.
– Laisse-nous du temps Trazarius, d’ailleurs, laissez-nous discuter un peu de tout cela et allez chercher Maître Duroc, nous aurons besoin de sa compagnie, un peu plus tard.
– Un agent gnome à moitié Céleste, maintenant un Orc qui va nécessiter d’être localisé et de combattre pour rejoindre le dernier endroit où il va encore s’être terré…
Tu ne voudrais pas également que j’aille te chercher le Fernherdir tant que nous y sommes ?
– Ma foi, si tu te sens capable d’aller chercher le Diable en personne et de le ramener ici pour que nous puissions parler d’un traité de paix, je ne vois pas pourquoi je m’y opposerai.”
Elle lui avait répondu avec un sourire malicieux et le général secoua la tête en signe de reddition.
Il poussa Genann vers la porte à défaut qu’il ait compris qu’il leur fallait quitter les lieux et donna un dernier regard en direction d’Elyona avant que ne disparaisse le passage qu’ils avaient emprunté.
“Trazarius est impatient et parfois un peu brutal, j’espère que vous lui pardonnerez ses humeurs.
En réalité, nous avons une question pressante à régler et c’est précisément la raison pour laquelle vous êtes ici.
– Et la raison pour laquelle vous voulez me recruter.
– C’est bien ça.
– Et quelle est cette question pressante ?
– Comment nous préparer à la grande guerre qui approche.”
Je terminais de déguster le thé qu’elle m’avait servi, en essayant d’appréhender l’information qu’elle venait de me donner.
Elle semblait se fourvoyer sur le rôle que je pouvais jouer dans ce qui les préoccupait ; je n’étais pas un garde-paix, je n’étais pas un légionnaire, j’étais un agent du divertissement, un clown sérieux, un pitre de la spiritualité, une voix qui résonnait avec celle à l’intérieur de chaque être.
“Je me doute que vous ne voyez pas le rapport avec qui vous êtes alors je voudrais vous le montrer, si vous voulez bien me suivre.”
Je lui emboîtais le pas, tandis qu’elle avait invoqué un nouveau portail, qui donnait cette fois sur une pièce plus traditionnelle, avec quatre murs et un plafond non vitré.
Divers objets y étaient entreposés et elle s’arrêta devant un grand miroir.
Une fois encore, il me parut familier.
“Voici le Miroir des Cordes.
Il s’agit de l’une de nos reliques les plus précieuses et les plus puissantes.
Je voudrais que vous l’utilisiez.
Je sais que vous ignorez comment le faire, mais la réponse est en vous.”
Elle me laissa la place devant l’objet et la seule idée instinctive qui me vint, consista à grimacer devant lui, plissant les yeux, hurlant sans émettre réellement de son.
Et alors que je me préparais à rire de l’inefficacité de la méthode, alors que je me redressais pour reprendre une posture plus droite, plus détendue, plus sérieuse, le reflet, lui, continua de grimacer, avant de se fendre d’un rire et de m’adresser un signe, comme pour me dire de plonger à travers le miroir.
Je jetais un regard interrogateur à Elyona.
“Écoutez votre instinct, vous seul détenez la réponse.”
C’était invraisemblable.
Mais en même temps, l’idée même d’avoir pu me téléporter à l’autre bout de l’univers, en un battement de cils, l’était tout autant.
Seulement la tête.
Quelque chose au plus profond de moi savait qu’il fallait que je plonge seulement la tête.
Je décidais donc d’agripper fermement le miroir de chaque côté et de plonger la tête dans le miroir, comme on la plonge en apnée dans l’eau.
J’avais machinalement fermé les yeux, non par peur de prendre des éclats de miroir dans la figure, mais comme on le fait pour ne pas avoir de l’eau dans les yeux la première fois qu’on plonge.
Lorsque je les ouvris, une vision s’était imposée à moi.
Diverses créatures s’affrontaient dans un immense champ de bataille et au milieu du tumulte, épée en main, Elyona se tenait là, comme paralysée.
Je pouvais entendre ses pensées.
Je pouvais entendre ses doutes.
Elle avait peur de ne pas être à la hauteur, elle sentait le poids de chaque ami tombé au combat comme autant de chapes de plomb sur ses épaules.
Elle se sentait responsable de tout, car elle ne savait plus qui elle était.
Une ombre fondit sur moi et après avoir fermé les yeux comme pour m’en protéger, je les rouvrais sur un tout autre décor.
Cette fois, je reconnaissais les lieux, c’était le légendaire Cubeworld, dont les gnomes disaient qu’il s’agissait d’une planète constituée de cubes flottant dans les airs.
Et face à moi se tenait trois versions d’Elyona : une apeurée, une vaillante et une en proie au doute.
Soudain, une sensation de suffocation me ramena à ma propre réalité et machinalement, mes mains encore agrippées aux côtés du miroir, je forçais sur mes bras pour sortir de ce flot tumultueux de visions.
Il me fallut quelques secondes de plus pour comprendre le sens de tout ce que j’avais pu voir et pouvoir me retourner vers elle.
“Je suis prêt à être votre agent, mais pour que cette collaboration fonctionne, il existe une condition.
– Il faut que je sois prête à entendre, et pas seulement écouter, ce que vous me direz, car vous direz toujours les choses avec bienveillance, dans le but de nous faire grandir, mais que cela n’enlèvera rien au fait que, parfois, cela sera contre intuitif, cela fera mal, cela obligera à mettre un terme à du déni ou une forme de dissonance cognitive.
– Je suppose que j’ai toujours eu la même exigence, chaque fois que je suis venu ici ?
– En effet et je l’accepte, cette fois encore.
– Bien, parce que je pense que vous n’allez pas forcément apprécier ce que je vais vous dire aujourd’hui.
Peut-être pourrions-nous en discuter devant une autre tasse de thé ?”
Elle hocha la tête et, quelques instants plus tard, nous étions de nouveau installés dans le salon.
***
“Avant que je ne réponde à votre question sur comment gagner la bataille qui se prépare, j’aimerais que vous me confirmiez quelque chose au sujet de ce miroir.
– Il s’agit du Miroir des Cordes, c’est une relique qui permet de voir le champ des possibles, de l’ensemble des futurs possibles, aux passés que nous n’avons pas emprunté dans cette version de l’univers, mais dans d’autres.
– Ce miroir peut donc montrer ce qui a été et ce qui peut être, tout comme ce qui aurait pu être.
– C’est bien cela.”
Je terminais et déposais ma tasse de thé, me réinstallais plus confortablement sur le canapé et plongeais mon regard dans ses yeux lilas, avant de lui adresser un sourire.
“Lorsque l’on s’attend à un conflit de grande envergure, on se lance souvent dans de grands préparatifs, physiques, armés.
On pratique encore et encore les mêmes gestes, pour renforcer nos muscles, pour maîtriser notre arsenal à la perfection.
Et je suppose que cela fait partie de vos préparatifs.
– En effet, Trazarius a développé un programme d’entraînement et c’est aussi la raison de la présence de Genann en Amarmenel ; il nous a gentiment mis à disposition une de ses inventions qui permet la simulation de combats.
– Et pourtant, tout cela est absolument vain.
– Alors nous sommes destinés à perdre cette guerre.”
Elle avait dit cela dans un soupir relativement résigné.
“Personne n’est destiné à gagner ou perdre une bataille, vous devriez le savoir mieux que quiconque, puisque vous possédez le Miroir des Cordes ; la défaite est un des futurs possibles, pas le seul.
– C’est vrai.
Pourtant, cette sensation m’habite depuis toujours, cette certitude.
– Et c’est précisément parce que vous entretenez cette certitude qu’elle a toutes les chances de se concrétiser.
– Je pourrais être responsable de notre chute alors que je souhaite de tout cœur nous protéger tous ?
– Vous pourriez être responsable de votre chute parce que vous n’avez jamais cessé de douter de vous-même malgré votre épopée dans le Cubeworld.”
Elle tressaillit.
Sans doute n’avait-elle pas imaginé que j’ai pu voir, et même ressentir sa douleur, ses peines, ses doutes, dans ce parcours si personnel.
“Vous avez affronté de nombreux dangers au cours des années, Elyona, vous avez combattu de nombreuses fois, alors j’aimerais vous poser une question qui a trait à la stratégie.
– Je vous écoute.
– Si Trazarius venait à vous, vous annonçant avoir isolé un ennemi majeur, est-ce que vous vous concentreriez sur cet ennemi, ou est-ce que vous fuiriez affronter un ennemi mille fois plus imposant, dont vous ne sauriez rien ?
– Bien évidemment, je me concentrerai sur l’ennemi isolé, j’essaierai d’en savoir plus sur ses positions, j’essaierai d’engager des pourparlers et de résoudre le conflit le plus pacifiquement possible ; c’est l’engagement de tous les Célestes.
– Alors vous devriez faire exactement la même chose aujourd’hui.
– J’ai bien peur de ne pas comprendre.
– Alors je vais vous raconter une histoire.
Sur Terre, la première Terre, il y avait autrefois un immense sportif, un homme de couleur à une époque où une partie de l’humanité avait décrété qu’il fallait que ces gens vivent à part, mangent à part, prennent les transports et utilisent même des sanitaires qui leur étaient spécifiques.
Dans l’incroyable aventure qu’a été sa vie, il a été confronté à une situation qui me rappelle la vôtre : on a attendu de lui qu’il combatte un monstre dont il ne savait rien, un mirage, un ennemi sans visage, alors qu’il devait déjà lutter contre ce qu’une grande partie du monde croyait encore être normal.
Savez-vous ce qu’il a fait ?
– J’aurais sans doute tenté de combattre ce monstre dont je n’aurais rien su, donc je suppose que ce n’est pas ce qu’il a fait, sinon je n’aurais aucune leçon à en tirer à la fin.
– Il a fait quelque chose qui demande bien plus de courage.
Il a fait de son mieux pour être lui.
Et en faisant de son mieux pour être lui, il a remporté, devant ce monstre sans visage comme devant tous ces gens qui ne voulaient même pas reconnaître la légitimité de son existence, plus de victoires qu’il n’aurait pu en espérer.
– Alors faire de son mieux suffit ?
– Faire de son mieux ne consiste pas à se reposer sur ses lauriers, faire de son mieux, c’est regarder en soi et savoir ce qu’on doit affronter.
Car comme il l’a dit à l’issue de tout cela, les batailles qui comptent ne sont pas celles qui sont visibles. Ce sont les luttes à l’intérieur de vous-même – les batailles invisibles et inévitables pour chacun d’entre nous – qui importent.
– Je dois faire la paix avec moi-même pour espérer préserver la paix dans nos mondes.
– Parce que vous ne pouvez pas vous battre contre des gens assaillis et emprisonnés par le doute, si vous êtes en proie au doute vous-même, Elyona.
Et vous ne pouvez pas fuir cette bataille contre un ennemi que vous avez identifié, sans risquer de vous jeter à corps perdu dans une guerre contre un ennemi que vous avez refusé d’affronter pour vous-même.
– Cela fait sens.
– Connaissez-vous beaucoup de gens qui soient si puissants que par leur seule volonté, ils ont manifesté la personne qu’ils veulent être et que cette personne a créé un monde entier pour leur permettre de grandir ?
– Je dois bien reconnaître que non.
– Alors peut-être devriez-vous réfléchir aux raisons pour lesquelles vous doutez de vous-même alors que vous êtes capable de bien plus que n’importe qui pourrait l’imaginer.”
J’avais terminé avec un grand sourire, cela apaisait toujours les cœurs et les esprits ; elle me le rendit bien volontiers et je pouvais sentir à quel point elle avait réellement reçu mon discours.
Nous avions ensuite longuement discuté jusqu’au retour de Trazarius, accompagné d’un Orc massif dont les traits, les tatouages et piercings ne me semblaient pas inconnus.
“Maître Duroc, c’est un plaisir de vous recevoir à nouveau.
Vous vous souvenez sans doute de notre ami.
– Ce n’est pas moi qui perds la mémoire à chaque fois que je pars, ahahaha aha.”
Son rire était très caractéristique, il me rappelait exactement celui des orcs dans un jeu vidéo pour terrestres dans lequel j’avais donné ma voix à un seigneur humain puis un seigneur nain.
Soudain, quelque chose déclencha une série de flashs et de souvenirs ; oui, oui, j’étais déjà venu ici, je les avais déjà rencontrés, son art m’avait marqué, sa personnalité aussi.
“Je me souviens de toi, tu as un atelier dans la ville d’Orkradour, tu utilises des technologies gnomes qui te permettent de créer des artefacts pour réparer ce qui ne peut l’être, pour préserver ce que le temps croit pouvoir abîmer.
Et la dernière fois que nous nous sommes vus, j’ai même été ton cobaye pour l’imaginarium que tu étais en train de créer ; tu avais capturé l’image de mon visage et tu pensais pouvoir en faire quelque chose de tout à fait singulier…
– Oh, tout t’est revenu d’un coup alors.
Bien bien, je crois que c’est pour ça que je suis là d’ailleurs, n’est-ce pas Elyona ?
– Absolument.
Est-ce complet ?
– Oui, complet et a priori fonctionnel
Enfin, il faut un test final pour le confirmer.”
Il souriait et d’un air assuré déposa sur la table basse une grande boîte.
Le contenu devait être d’une importance majeure, car Trazarius, qui avait refusé de s’asseoir au motif qu’aucun général digne de ce nom ne reposerait ses jambes au retour d’une mission au risque de laisser ses muscles refroidir trop vite et se courbaturer, avait quasiment cessé de respirer.
J’ôtais le couvercle et découvrais un miroir dont le décor rappelait celui du Miroir des Cordes.
“C’est une version miniaturisée de notre artefact, produite par Maitre Duroc, de manière à ce que vous puissiez l’emporter avec vous en mission et l’avoir toujours à disposition, au cas où vous ne pourriez pas utiliser l’original.
– Et il présente un avantage sérieux, outre sa portabilité : a priori, vous ne pourrez pas finir aspiré à l’intérieur.”
Le souvenir de la force que j’avais dû déployer pour ressortir ma tête lors de mon usage du Miroir des Cordes quelques heures plus tôt me fit apprécier cette précision.
Je le pris entre mes mains, puis après une grande inspiration, plongeais dans le cadre dont la taille correspondait parfaitement au contour de mon visage.
Puis une fois la vision venue et estompée, je ressortis ma tête sans le moindre effort.
“Bien, il est fonctionnel et tout à fait pratique, voilà un travail de qualité.
– Ton approbation de cet artefact s’étend-elle à accepter de redevenir le Premier Agent Double Galactique ?
– Ma seule condition pour travailler avec des gens, c’est de ne jamais avoir la sensation de dispenser vainement des conseils.
J’ai pu avoir un aperçu des changements qui ont découlé de notre discussion et tout me laisse à penser que nous nous sommes bien compris, je n’ai aucune raison de refuser.
– Genann sera ton référent technique ; c’est paradoxal puisqu’il est le deuxième agent que nous avons recruté, mais comme il fait aussi partie du G42, votre couverture sera d’autant plus facile à préserver et tu sauras à qui demander le moindre outil qui te ferait défaut ; Maitre Duroc continuera également de collaborer avec nous et tu pourras le retrouver à Orkradour au besoin.
– Oh, est-ce que ça veut dire qu’on prévoit enfin d’arrêter de m’envoyer dans la forêt de Drudenrir pour l’y débusquer à chaque fois qu’on aura besoin d’un nouvel artefact ?
– Oui, Trazarius, en revanche, je crois qu’il faut retourner sur place, car Oduk Sigur a signalé des recrues prometteuses et nous ne voudrions pas passer à côté de nouveaux talents, n’est-ce pas ?
– Je suis certain que Maitre Duroc saura créer un portail permettant une communication entre notre caserne et un lieu au choix de Maitre Sigur.
– Le jour où Trazarius apprend à dire non est enfin arrivé, louées soient les étoiles de l’Amarmenel !”
J’étais impressionné par ces Célestes qui semblaient apprendre bien vite les uns des autres.
Bientôt, je signais un contrat qui officialisait nos accords et d’un battement de cils, j’étais de retour chez moi. J’avais la sensation de n’être parti que le temps d’un songe.
Genann aurait sans doute eu une théorie à grand renfort de magie arcano-temporelle à ce sujet.
Finalement, j’avais ralenti, en mettant le pied dans quelque chose d’incroyablement épique.
C’était une bien belle journée.
La première d’une grande épopée.
Les batailles qui comptent ne sont pas celles qui sont visibles. Ce sont les luttes à l’intérieur de vous-même — les batailles invisibles et inévitables pour chacun d’entre nous — qui importent.
Jesse Owens, athlète américain