Une chronique, ça se rémunère. Je sais, il y a quelques personnes ici qui vont se dire que j’annonce une évidence. Sauf que j’ai récemment déchaîné les enfers sur Threads, qui prend de plus en plus souvent les allures de Twitter, en rappelant cette évidence et en osant expliquer qu’en ce qui me concerne, une personne qui quémande une chronique gratuite est une personne dont j’estimerai qu’elle a recours à l’IA.
Évidemment les commentaires ont plu : il faut être greedy pour vouloir se faire rémunérer pour son travail, si on paie les chroniques, elles ne peuvent pas être honnêtes (j’espère que personne ne paie pour aucun service d’analyse du coup) et puis que c’est un raccourci immense, faut arrêter de crier tout le temps à l’IA.
Et fun fact… les gens parlaient de reviews pour la majorité et avaient effectivement recours à l’IA pour les autres.
Sauf qu’en creusant un peu, auprès des gens qui ne m’ont pas insulté·e directement, j’ai découvert qu’en fait les gens qui m’ont répondu l’ont fait en ignorant que non, les reviews et les chroniques, ce ne sont pas les mêmes prestations.
Alors j’ai décidé qu’on allait faire un point, pour éviter de me faire encore agresser la prochaine fois que je rappellerai que les premières sont faites à chaud et subjectives (ce n’est toujours pas une insulte et faut vraiment bosser la définition du mot si vous vous prétendez critique littéraire), là où les secondes sont faites à froid, au prix de nombreuses heures et objectives (ce qui ne signifie pas qu’elles ont plus importantes que les premières, là encore, usez d’un dictionnaire au besoin).
En voiture Simone, commençons par définir ce qu’est une review et ce qu’est une chronique.
Review et chronique : de l’avis du client ou du pair.
À chaque fois qu’on parle de chronique et du besoin de payer les prestataires, il y a toujours Karen, instabooka, qui débarque et accuse le monde entier d’être le pire des profiteurs à se faire payer pour émettre un avis lecteurice sur un livre.
Alors qu’on soit d’accord : Karen a raison, se faire payer pour un avis lecteurice c’est abusif… y compris au regard de la loi qui encadre la chose, raison pour laquelle Amazon (parmi d’autres plateformes) rappelle que si vous laissez un avis en échange d’une contrepartie, ben c’est pas légal.
Ce qui est dommage, c’est de passer à côté de la réalité que « une contrepartie » ce n’est pas seulement de l’argent et qu’offrir un livre correspond à ce critère, raison pour laquelle désormais on doit déclarer le gifting et signaler les posts à collaboration commerciale.
Mais je ne vais même pas me lancer sur ce terrain, pour la bonne et simple raison que quand on parle de chronique, on ne parle pas de toi, Karen.
Les avis lecteurices sont des reviews, aussi appelées « critiques » en français et c’est même parce qu’elles s’appellent « reviews » en anglais qu’elles apparaissent dans l’onglet « review » sur les sites anglophones; les bras nous en tombent.
Les reviews sont exactement le nom qu’elles portent : un avis par et pour les clients finaux.
Donc si on vous offre un livre, ou que vous l’achetez et avez envie de donner votre avis, ce que vous publiez, qui est subjectif (c’est votre avis personnel, toujours pas un gros mot, toujours pas négativement connoté), c’est une critique, souvent rédigée à chaud et parfois annotée à froid, qui permet au public qui apprécie les mêmes récits que vous de savoir si ça va leur plaire ou pas.
Les reviews sont généralement publiées sur des plateformes dédiées aux lecteurices (commentaires sur la fiche produit, sites comme GoodReads, Babelio, etc) et relayées sur les réseaux sociaux, notamment Instagram et Tiktok. D’ailleurs ces plateformes les nomment bien soit « critiques » soit « reviews ».
Mais du coup, c’est quoi une chronique ?
Contrairement à la review, la chronique est une analyse à froid.
C’est une prestation qui prend plusieurs heures voire jours de travail et consiste à devoir analyser les livres selon plusieurs critères et notamment le fond, la forme, l’accessibilité par rapport au public ciblé, la cohérence au storytelling de vente, la bonne catégorisation littéraire, etc.
Parce que la chronique est une analyse objective (qui ne veut toujours pas dire « supérieure aux reviews », mais bien sur des critères neutres) et plus technique, elle est généralement conduite par des pairs (id est, d’autres auteurices) et pas par le lectorat.
Le résultat produit est ensuite publié par le commanditaire (auteurice, éditeurice, presse spécialisée) et/ou sur le site de la personne ayant réalisé la prestation, selon ce qui est a été décidé pour la réalisation de la prestation.
Review et chronique : à qui ça sert ?
Les deux formats ne s’adresse pas directement au même public, sont rarement réalisées sous la même timeline et servent régulièrement des objectifs complémentaires.
La review sert essentiellement à la phase de promotion du livre et a pour but premier d’attirer le bon public.
Elle s’adresse donc directement aux lecteurices à travers une personne qui leur sert de référence dans le milieu littéraire.
Et c’est cohérent; si vous voulez savoir si le livre que vous envisagez d’acheter va vous plaire, il vaut mieux demander à la personne qui a très souvent les mêmes lectures que vous, plutôt qu’à la maison d’édition qui ne va probablement pas vous dire non.
La chronique, elle, s’adresse principalement à la maison d’édition, ou directement à l’auteurice en l’absence de contrat d’édition.
Réalisée en amont de la sortie pour s’assurer de la bonne catégorisation et la bonne communication autour du livre, ou en aval d’une promotion qui n’a pas porté ses fruits, elle peut, très occasionnellement, s’adresser au lectorat.
Un exemple que j’aurais pour illustrer ce dernier cas singulier, c’est le cas d’Evana de Justine C.M., dont les reviews décriaient un « roman sans action » ou « lent » parce que le livre était principalement présenté comme une fantasy, là où il s’agit d’une œuvre contemplative.
Est-ce que ça veut dire que les reviews avaient tort ? Pas du tout, si on vous présente un livre comme étant une fantasy, vous allez le critiquer pour ce qu’on vous présente et c’est tout à fait normal et je comprends personnellement qu’il n’ait pas plu à ce public.
Le problème, c’est que la classification des œuvres est une épreuve en soi; certaines plateformes ne permettant pas de désigner plusieurs genres pour une œuvre, si vous avez un genre « de niche », on va souvent vous catégoriser ailleurs pour que vous puissiez être visible (et je ne parle même pas du cas des genres qui sont littéralement indisponibles à la catégorisation).
La chronique permet de venir rétablir un équilibre et de s’adresser à la part de public qui veut approcher un livre par son pan technique, plutôt que par un genre annoncé.
Et plus grossièrement, disons que les reviews sont parfaites pour le lectorat surtout s’il aime un genre en particulier, là où les chroniques sont pensées pour le feedback technique et le lectorat qui consomme pour le fond ET la forme, donc supposément de tout.
Une review peut être très positive parce que vous avez adoré l’histoire et la chronique négative parce que les normes du genre ne sont pas respectée; une review peut être négative parce que le roman ne correspond pas aux exigences d’un certain lectorat pour un genre identifié et la chronique positive parce qu’il respecte les normes littéraires.
In fine, le but c’est que le lectorat trouve chaussure à son pied et que les plumes (et leur ME) sachent comment éventuellement penser les communication à l’avenir.
Dans tous les cas, usuellement, les auteurices et ME n’ont pas leur mot à dire sur les reviews et certaines personnes défendront la posture selon laquelle iels ne devraient même pas les consulter, ce avec quoi je suis d’accord, en particulier si votre réflexe en tant que plume c’est d’attaquer les avis des gens.
En revanche, iels ont un droit de regard sur les chroniques, impliquant de pouvoir en refuser la publication s’iels considèrent l’analyse à leur préjudice; c’est un travail qui est essentiellement à leur bénéfice et même s’il est vrai qu’il vaudrait mieux une remise en question qu’une annulation de publication… ben ça reste une possibilité (cordialement quand même, les auteurices qui harcèlent, je vous vois hein).
Mais en dehors de ces éléments, qu’est-ce qui influence les prestations ? Ben le modèle économique totalement différent et les problèmes récurrents en la matière.
Review et chronique : différence de modèles économiques et problèmes réguliers
Comme je l’expliquais auparavant, les deux prestations suivent une différence massive de modèle économique.
Sur le papier, la raison est simple : l’une est un avis à chaud, l’autre une prestation technique.
D’un côté, il y a la review qui consiste à donner à chaud une critique d’un livre pour son lectorat; il y a une compensation de la prestation par le gifting du livre et le reste du temps, la personne peut choisir de monétiser son contenu, par exemple en produisant des reviews en vidéo.
De l’autre, il y a la chronique qui nécessite une première lecture pour la forme, puis une seconde lecture pour le fond et ensuite une analyse des autres éléments autour de l’œuvre comme la cohérence de la classification, des illustrations, du choix du 4e de couverture, etc.
Conséquemment, les chroniques sont rémunérées, soit par facturation par prestataire indé, soit par salariat quand c’est au sein d’un média de plus grande ampleur.
Mais ces modèles ont leur limite.
Pour la review, l’absence de rémunération implique d’accepter que les critiques ne vous doivent ni un format spécifique, ni une deadline. Dans le cas inverse, il y a une formation de contrat qui appelle à une rémunération.
Il existe aussi le risque de ne pas recevoir la review, j’ai vu un certain nombre de plumes s’en plaindre en disant que du coup iels avaient offert un livre « pour rien », mais d’un part je pense que ça vient d’un pourcentage qui attendait une deadline précise, d’autre part, il existe aussi des ouvrages pour lesquels les gens estiment préférable de ne pas publier la review et ça se respecte.
Beaucoup d’auteurices optent pour offrir la version numérique du livre pour réaliser des économies.
Une évolution positive émergente, c’est la mise en place de système d’affiliation, déjà proposé pour les autres opérations commerciales impliquant du gifting, où la personne qui réalise la review pourra ensuite percevoir une commission sur chaque vente du livre apportée par son code ou son lien.
Pour la chronique, le principal problème c’est quand il y a un énorme écart entre ce qui a été présenté au grand public et ce qui aurait du l’être et par expérience, cela se produit essentiellement avec les maisons d’édition qui misent tout sur le marketing plutôt que la communication, dont les pseudos ME à compte d’auteur.
Et le problème secondaire, ce sont les chroniques complaisantes. C’est souvent lié, puisque les éditeurices ont rarement envie qu’on les tienne responsables du flop d’une sortie, iels ont tendance à savoir vers qui se tourner pour bosser en abondant dans leur sens et écrire des « chroniques » qui viennent soutenir un travail absent.
Le souci de la chose c’est qu’il suffit de tomber sur une personne chiante comme moi (oui mon petit surnom de monstre vient de quelque part), qui va faire une chronique intègre et ça donne ce qui m’est arrivé relativement régulièrement : des auteurices qui se demandent pourquoi jusqu’à présent iels avaient une note de 18/20 et ont soudainement une chronique à moins de 8/20.
Et une fois par an, la personne a été tellement faussement encensée par des fausses chroniques positives, que la remise en question est impossible, le questionnement pareil et on a droit à ces auteurices qui harcèlent plutôt que de réfléchir aux faits.
Dernier point noir : il est arrivé qu’on découvre que des chroniqueurses non rémunéré·e·s revendaient les livres reçus et j’ai envie de dire : cheh.
On l’a su parce que les livres nous parviennent dédicacés, ou en tout cas avec un mot sur la page blanche prévue à cet effet et que des livres ont été retrouvés avec la page en question manquante.
Et plutôt que de se questionner, le monde de l’édition a décidé de marquer les pages, ou d’envoyer des exemplaires simplifiés / invendables, incluant des exemplaires sans couverture (je rappelle qu’en chronique, on analyse aussi la cohérence de la couverture donc ahem).
Parce que visiblement, il fallait s’assurer de ne vraiment pas pouvoir trouver le moyen de tirer une rémunération de ce travail, comme le harcèlement relatif aux avis reçus, c’est plus efficace que réfléchir aux faits.
La majeure différence entre les reviews et les chroniques sur ce point, c’est que les chroniques étant faites sur des critères neutres bien spécifiques, ça finit par leur passer, alors que les critiques en prennent constamment plein la tronche parce que « t’es pas pro, pourquoi ton avis devrait compter ?! » et c’est là qu’on en vient à l’hypocrisie que je dénonçais sur Threads et mon soi-disant raccourci sur l’IA.
Ouverture d’esprit sélective et goût pour le travail gratuit
Qu’on réalise des reviews ou des chroniques, qu’on soit amateurice ou pro, les plumes et les ME savent, a priori, à quoi s’attendre : recevoir un avis.
Que l’avis soit subjectif et orienté lectorat, ou objectif et orienté principalement côté créateurice, à partir du moment où la personne demande une prestation, elle sait qu’elle prend le risque que le résultat ne lui convienne pas.
Et c’est là qu’on entre dans les deux réactions qui, selon moi, affichent littéralement les artistes qui ont recours à l’IA :
– « t’es pas pro, c’est quoi cet avis de merde, t’en écris des livres toi ??? » à une personne à qui a été passée commande d’une review DONC pas d’une chronique DONC pas d’une analyse technique par pair
et les
– « jamais je paierai pour une chronique, je vois pas pourquoi je paierai pour ça » qui revient à dire à des professionnels que ça serait normal de ne pas rémunérer des heures de travail, exactement comme le font les personnes qui « expliquent » pourquoi elles préfèrent utiliser les IA pour faire leur couverture de livre, parce que « chui précaire, je peux pas payer pour ça » (à se demander comment faisaient les artistes avant).
Et vous savez ce qui est hilarant ?
C’est que quand j’ai fait mon post sur Threads, les auteurices ayant commencé par « bien heureux qu’on paie pas les avis, je vais pas payer des gens qui écrivent pas des livres et aucun rapport avec l’IA » ont prouvé que déjà iels confondent review et chronique, dans le cas des reviews, payer ça voudrait dire devoir bosser qu’avec des pros sinon on rejette leur avis en bloc et les pros on ne veut pas les payer non plus, la preuve, la majorité des gens n’ont pas payé d’AL, ni de BL, souvent pas d’illustrateurice, parfois ont payé l’éditeurice alors que c’est la seule personne à pas payer et ont eu recours à l’IA chaque fois que c’était possible.
Donc je le redis, comme je l’ai dit au départ : si vous assumez de ne pas payer vos chroniques, je pars du principe que vous avez recours à l’IA.
Et je vais même compléter : si vous assumez de ne pas payer vos chroniques, si vous pensez que les gens qui font des reviews devraient acheter votre livre (j’en ai vu passer), si vous pensez que ça devrait juste être un emprunt, si vous osez venir dire que si ces gens étaient rémunérés ils ne seraient pas intègres, je vais partir du principe que vous pensez comme ça pour chaque étape de la réalisation d’un livre et que vous avez recours à l’IA chaque fois que c’est possible.
Bref, après tout ça, il est temps de mettre en avant des gens de qualité : que vous les aimiez pour leurs reviews ou leurs chroniques, allez-y, balancez leur compte en commentaire, que les gens qui cherchent des lectures aient des comptes à suivre 🙂