Justine C.M., que tu lis de temps en temps dans les partages d’auteurices, a vu son roman Evana publié chez Le Labyrinthe de Théia éditions.
Ce livre est tout à fait particulier : il s’inscrit dans l’art contemplatif.
Mais c’est quoi, au juste, l’art contemplatif ?
Et surtout, comment ça se présente, quand on parle de littérature ?
C’est le sujet du jour !
Une petite définition pour commencer ?
Pour savoir de quoi on parle, rien de mieux que la définition des termes, après tout.
Et pour parler de ce qui est contemplatif, il faut déjà savoir dire ce qu’est la contemplation.
Et elle se définit comme une application de l’esprit à voir et observer certaines réalités.
Typiquement, si je te disais que j’étais en contemplation devant “The Crayola Shooter” (aussi nommé “Crayon Boy” ou “Child Soldier”) de Bansky, tu devrais comprendre que mon esprit a réagi à l’œuvre et réfléchit, interprète et se demande à quel point ce qu’il décèle est réaliste, une part de notre société…
A ce moment là, mon être est donc dans un état contemplatif.
Mais alors, pourquoi est-il plus commun, dans notre langage, de parler de contemplation au sens de simple observation, comme lorsque l’on parle de contempler un paysage, un soleil couchant… ?
Parce que petit à petit, le contemplatif c’est scindé entre la contemplation spirituelle, dont l’essence serait de rapprocher notre âme de Dieu (ou toute autre entité de la croyance qui émet l’élément contemplatif) et la contemplation de la Nature, dont l’essence est de nous ramener à notre statut d’être vivant.
Ou non binaire comme Spinoza. (pardon, fallait que je la fasse, j’ai besoin du chèque du lobby UwU)
Le contemplatif, dans le quotidien.
Oui parce que c’est bien beau de penser à Bansky et aux distinctions des contemplations, mais au quotidien, comment ça se traduit ?
Et bien typiquement, si tu fais partie des personnes dont la routine quotidienne incorpore un instant de gratitude, alors tu as un instant de contemplation : tu prends le temps nécessaire à ce que ton esprit observe la réalité du toit sur ta tête et tes autres privilèges sociaux en comparaison des autres.
C’est un état contemplatif proche de la contemplation spirituelle, d’ailleurs, c’est souvent un héritage de la culture spirituelle d’Orient.
Parfois, on y retrouve des notes d’hindouisme, lorsque le but de la contemplation n’est plus seulement la gratitude, mais se mue en la volonté d’éloigner toute pensée négative et de purifier ses émotions.
Autre possibilité, tu peux contempler le quotidien, c’est une contemplation du monde plutôt que du soi, pour voir ce que tu y aimes ou ce qui te révolte, ce qui te ressemble ou ce qui t’éloigne d’autrui et pour questionner l’opposition des sentiments et de la raison qui émerge de tes constatations.
Cette forme de contemplation est plus philosophique, plus artistique, plus contestataire.
Son héritage provient de l’époque romantique et c’est celle qui va nous intéresser en littérature.
La littérature contemplative, du romantisme à l’état pur.
Le romantisme ? Alors la littérature contemplative, c’est de la romance ?
NON, NON ET RE-NON.
NOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !
LE ROMANTISME N’EST PAS LA ROMANCE !
C’est comme dire que les félins sont des chatons qui tiennent dans la main, vous voyez l’effet hyper sélectif ou pas ?
Le romantisme, c’est un mouvement culturel large, qui ne s’arrête absolument pas à la littérature (musique, danse, politique, sculpture, peinture, tout y passe) et qui met en scène une forme de supériorité de l’état d’âme, de l’émotion, de l’imagination, sur la raison et sur la morale.
Une nouvelle horrifique relève du champ du romantisme : elle aspire à ce que notre esprit s’évade et s’épanouisse dans le morbide et le cauchemardesque, au mépris de la raison et/ou de la morale.
Un roman onirique relève du champ du romantisme : on nous entraîne dans un rêve, dans le sublime comme le cauchemardesque, dans le mystère et le fantastique, dans le passé comme dans un présent mélancolique.
Et par sa nature, il ne sera ni raisonnable (les rêves s’affranchissent de la raison), ni nécessairement moral (dans le rêve, tout est rapidement permis).
Alors oui, la romance le roman d’amour relève aussi du champ du romantisme, en particulier quand il parle d’amour interdit ou impensable : ce sont les sentiments qui sont plus fort que la raison ou la morale, c’est bien du romantisme.
Et quand c’est pas le cas ?
Si l’histoire reste dans le champs de l’expression et le faire ressentir des émotions, c’est du romantisme sinon… ça n’a rien à faire dans ces deux classifications.
Au fait, pourquoi je parle de roman d’amour plutôt que de romance (point historique pour les gatekeepers de m…) :
Le romantisme est un genre lié au mouvement romantique, né de l’opposition au classicisme.
La romance (anglicisme) est un sous genre du romantisme né du puritanisme et de l’opposition au romantisme.
Elle restreint son genre aux romans d’amour basé sur une relation hétéronormée dont la fin est heureuse.
Et elle débute l’ère du sexisme décomplexé en littérature, puisqu’elle est décrite comme genre mineur, parce qu’essentiellement écrite par des femmes.
Cette classification classiste et sexiste est ce qui fait que les Hauts de Hurlevent sont considérés simultanément roman d’amour (roman sentimental, deux termes équivalents dans la classification francophone) et non romance dans la classification anglophone, particulièrement depuis que les gens ont su que derrière le nom de plume Ellis Bell.
Elle est aussi la raison pour laquelle les histoires d’amour LGBTQIA+ sont encore mal classifiées quand elles ne sont pas rejetées par les ME spécialisées en romance.
On ajoutera que par son histoire, le romantisme implique un bornage moral et politique des romans et qu’un roman d’amour qui irait vendre une forme de domination n’aurait techniquement pas sa place dans cette classification.
Et dans tous les cas, tout récit romantique n’est pas nécessairement un roman d’amour, comme il ne sera pas nécessairement contemplatif.
“Mais t’avais dit qu’on mangerait des knac… t’avais dit que le contemplatif était romantique !”
J’ai jamais prétendu que c’était nécessairement réciproque.
Car il existe une subtilité, à savoir que le but de la littérature contemplative et le même que celui de l’art contemplatif en général : faire de la pensée l’action.
Comme c’est pas facile à saisir, je vais tenter la comparaison la plus claquée, mais quand même censée, que j’ai pu trouver : les livres dont nous sommes le héros.
Quand on lit ce genre de livre, nous sommes le personnage, nous prenons les décisions, nos actions sont les actions du personnage.
Jusque là, normalement, tu me suis.
Dans la littérature contemplative, les actions sont les pensées.
Ce sont les sensations vécues, les émotions qui nous transcendent, le regard que ça nous pousse à porter en nous et autour de nous, qui sont les actions.
La littérature contemplative fait souvent fi du temps et des référentiels humains traditionnels.
Son but c’est le transport.
C’est la transposition en genre littéraire de l’idée que “dans un voyage, ce n’est pas la destination qui compte mais le chemin parcouru”.
Le contemplatif, un genre oublié et conspué comme le livre de gare.
J’en ai parlé en abordant les mythes absurdes autour de l’écriture, quand on a le malheur de sortir des sentiers battus, les gens se précipitent vite pour penser que c’est “la méthode facile”, voire carrément que “c’est nul”, “ça manque de ceci”, “c’est clairement pas ça”, et beaucoup moins rapidement pour se dire que, peut-être, ils ont mal compris l’œuvre et le genre dans lequel elle s’inscrit.
Je ne reviendrai pas sur l’éternelle question de “la faute à qui si on se méprend sur le genre d’un livre ?”, parce que je crois que c’est une fausse problématique au sens où l’on peut ne pas aimer une œuvre et ne pas, pour autant, attaquer la plume au lieu d’admettre que l’œuvre n’était pas faite pour soi (le principe de dire “je n’aime pas” plutôt que “c’est de la merde”, ce truc qu’on appelle communément l’éducation, donc) et ensuite parce que je pense que ça reviendrait à confondre la faute (quelqu’un aurait effectivement fauté en vendant une œuvre contemplative comme étant un bouquin plein de cliffhangers ^^”) et la responsabilité (ce qu’on fait de l’info une fois qu’on a lu le livre et constaté que c’était mal classé, on en revient à la question de l’éducation et se venger sur les auteurices ne changera rien à la compétence de la personne qui colle en rayon les bouquins).
Ce sur quoi je voudrais attirer l’attention, c’est l’importance fondamentale qu’il y a à aller découvrir une œuvre et l’artiste qui la porte en amont de l’achat d’un livre.
Peut-être que le livre est dans la bonne catégorie, mais que les valeurs de l’auteurice ne colleront pas aux nôtres (typiquement, en tant que lobbyiste de l’arc-en-ciel, j’éviter d’enrichir des terfs) ou au contraire, que les valeurs de l’auteurice nous iront comme un gant, mais que finalement la découverte du ou des premiers chapitres nous fera dire que ce livre en particulier ne sera pas le bon.
Et je pense que c’est d’autant plus important que ça éviterait de découvrir des plumes de la mauvaise façon, d’une part, d’autre part ça éviterait d’acheter par principe que c’est tel·le auteurice qui l’a écrit DONC ça va être tel genre et paf, pas du tout, mince, parce que oui, nous autres auteurices écrivons aussi dans divers genres et on ne va pas forcément prendre un nom de plume par genre en fait (typiquement, on a un nom de plume pour la fiction, un pour la non fiction, potentiellement un troisième pour le NSFW et on a fait le tour, même si, évidemment, des exceptions existent).
Et finalement… si on laissait à nouveau sa chance au contemplatif en littérature ?
Je sais bien que tout le monde consomme l’art différemment, cependant il me semble quand même que l’art sert à réfléchir, à s’évader et à penser.
Pourquoi cela fait instinctivement sens quand on parle de tableaux (Le Cri, Le radeau de la Méduse…) et pas quand on parle de littérature alors que lire est quand même une source plus profonde encore d’imagination, puisque, sauf si illustrations il y a, c’est bien notre contemplation des descriptions qui va entraîner l’action de créer le personnage, le faire vivre sous les traits qu’on lui prête, par la seule force de notre esprit.
Et si le problème du contemplatif était étroitement lié à notre mode de consommation ?
Dans une société de l’instantanéité et du prémâché, est-ce que devoir penser, parce que c’est une obligation en contemplatif, est un acte qui s’apparenterait finalement au souvenir éphémère que l’on a d’un rêve au réveil, qui s’efface dès que l’on se meut, comme les messages tracés dans le sable sous la vague immuable du temps qui passe ?
Mince, je viens de te forcer à la contemplation… Finalement, ce n’est peut-être pas si inaccessible… Dis le moi en commentaire 😉
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