Les mythes absurdes autour de l’écriture

Tu peux pas être aide à domicile si tu fais pas un bon mètre soixante quinze et si tu n’as pas une forme athlétique, tu peux pas être prof d’histoire si tu as une mémoire douteuse des dates et évidemment, tu peux pas te prétendre auteurice si tu es dyslexique.
Et si on arrêtait avec les clichés sur les métiers ?
Aujourd’hui, je te parle des mythes absurdes autour de l’écriture.

Comme pour tous les métiers du monde, celui consistant à écrire n’est pas épargné par les avis faciles et les clichés en tout genre.
Et ça commence par le mythe de la personne qui ne peut pas, absolument pas, avoir un mauvais niveau de langue, parce que… ben toutes les plumes travaillent seule dans leur coin, non ?

Les auteurices : entre adeptes de la sacrosainte Académie et les self made (wo)men ?

Evidemment, c’est un des préjugés les plus faciles et les plus faux concernant l’écriture : toustes les auteurices parlent extrêmement bien français, adulent l’Académie Française et ne réussissent que par elleux-mêmes.

Et c’est du bullshit, tout le monde peut écrire, y compris les gens dyslexiques, y compris les gens dont la langue du livre n’est pas la langue natale.
Et c’est possible tout simplement parce que non, la personne qui écrit ne travaille pas seule.

L’aventure d’un livre ne se limite pas à l’écriture : c’est une fourmilière où l’on trouve l’auteurice, mais aussi des relecteurices/correcteurices, des illustrateurices, des alpha et beta lecteurices, des comités de lecture si on parle de travailler avec une maison d’édition…

Si tu as le malheur de tomber un jour sur un livre dont le niveau de langue est proche du néant et où il y a 3 fautes par ligne, déjà tu auras eu le pire coup de malchance du monde, ensuite tu seras probablement tombé sur le résultat d’une maison d’édition douteuse (et je rappelle qu’il y a des ME pro intelligence artificielle pour l’écriture, en plus de l’illustration, les deux étant une insulte aux artistes) ou d’une personne auto éditée qui adhère à la théorie du génie solitaire et/ou n’a pas vu l’intérêt de payer quelqu’un pour faire ses corrections (très mauvaise façon de faire des économies).

« Ouais, ben ça veut pas dire que les dyslexiques peuvent écrire hein.
Donne un nom d’auteurice qui a méga réussi en étant dyslexique pour voir ? ! »

Je sais pas si 66 romans, 154 nouvelles, 20 pièces de théâtre et beaucoup d’adaptations télé sont une « mega réussite » à tes yeux, mais je doute que quelqu’un prétende qu’elle a usurpé son titre de « reine du crime », donc : Agatha Christie (ouais, pas très connue, je sais).

Bon par contre, sarcasme mis à part, tu peux m’opposer qu’elle a suivi un cursus privé très orienté culture et littérature et que donc, il n’empêche que les auteurices ont intérêt à pas avoir un profil scientifique.

Le mythe de la bosse des maths qui assomme les aptitudes littéraires.

Il y a, particulièrement en France, une croyance très tenace selon laquelle soit on a un profil scientifique, soit un profil littéraire, probablement issu du bullshit (j’aime ce mot aujourd’hui, tu as remarqué ?) sur cerveau gauche vs cerveau droit ou encore cerveau lent vs cerveau rapide.

Si ce genre de cliché scientifique sur fond de fake med (oui parce que bon, ça s’entraîne et ça se soigne, même si c’est pas censé être une maladie, juste une case dans laquelle on te jette) est régulièrement « debunk » sur YouTube, on aime bien le confort d’une case, ça permet de trouver des excuses pour des tas de trucs, même si clairement, la vibe sexiste, élitiste et validiste passe régulièrement par là (non, le monde ne traite pas pareil une secrétaire administrative au parcours littéraire qui ne se rappelle pas immédiatement ce qu’est une identité remarquable et une prof d’amphi capable d’écrire « cette un théorème… », parce que la scionce… bref, je m’égare).

En réalité, tout ceci est une réminiscence des orientations passées et un héritage qui justifie encore, aujourd’hui, de pousser les gens à surtout aller dans un domaine plutôt que l’autre et tant pis pour les « profils hybrides ».

Fort heureusement, à l’âge adulte, tu fais bien ce que tu veux.
Et s’il te prend l’envie d’écrire un livre alors que tu as suivi un cursus scientifique, grand bien te fasse.
Ce ne sont pas des gens comme Fred Vargas (encore une reine du crime !) son doctorat en histoire avec une thèse sur l’Archéozoologie et ses 15 ans au CNRS qui vont te dire qu’il ne faut pas.

En parlant du CNRS, Jean-Louis Roujean, auteur du « Morpho Bleu » est un spécialiste des études de l’environnement par satellite, qui a bossé 25 ans à Météo France, tu penses qu’il a fait un bac L et une fac de lettres modernes ?

Ces deux noms de la littérature française contemporaine ont un point commun (outre leur passage au CNRS) : leurs romans exploitent leurs connaissances scientifiques.
Parce que mêler science et littérature… ben c’est quand même la base de bons polars, de la science-fiction, de certaines dystopies, etc.

Allez, un dernier pour la route : mon chouchou, Frédéric Rocchia.
Ses romans se dégustent, la plume est extrêmement fluide, tout semble traité avec une justesse et un réalisme incomparable et pour cause… il a suivi des études de criminologie.

« Ouais, on a compris, y’a Bernard Weber aussi à ce compte. »

Et… Pas du tout et très bon contre exemple.
On pourrait le croire à sa trilogie sur les Fourmis, Bernard Weber n’est pas un scientifique, il a, au contraire, un profil très littéraire et c’est sa haute maîtrise des codes de la langue qui lui confère cette aura de « sachant ».

Bon et aussi ses nombreuses recherches, parce que tu sais quoi…

L’auteurice qui pond un livre sans aucune recherche ni référence n’existe pas.

Je crois que de tous les clichés qui existent sur l’écriture, celui-ci est le plus sournoisement répandu, parce qu’il n’est que très très très rarement abordé de manière explicite.

Cette croyance rejoint assez l’idée (évidemment fausse) qu’il y a des gens qui ont un talent naturel pour les choses et celleux qui doivent travailler encore et encore sans jamais pouvoir les égaler.

L’écriture, comme tout art, a besoin d’une inspiration.
Et cette inspiration est ensuite travaillée, selon le degré de vraisemblance, de parodie ou de sarcasme qu’on souhaite donner à l’histoire.

Même les gens adeptes de « fast content » ou « fast booking » font des recherches, parce que créer quelque chose d’aussi plat qu’un recueil de blagues pour ta soirée repas de famille de l’enfer nécessite au moins de savoir sélectionner des blagues efficaces, sauf si tu te fous de réussir à faire partager ton résultat, mais dans ce cas, on n’est plus dans la dynamique des auteurices.

Si tu veux que ton roman horrifique fasse peur, il faut que tu décrives précisément les mouvements de cette araignée géante.
Si tu veux que ta parodie séduise vraiment, il faut que tu connaisses les clichés à exploiter pour ne pas te contenter des plus évidents, mais aller faire référence à des discours qui ont eu lieu, à de l’absurde tout en finesse, etc.

Et pour autant, il ne faut pas forcément miser sur le livre de niche.

Le livre de gare, l’un des modèles littéraires nécessitant le plus d’expérience.

Voilà, là j’ai terminé de me fâcher avec la communauté littéraire élitiste, partie dare-dare ériger un bûcher pour ma personne.

Pendant que ces gens s’affairent, je vais développer un peu mon propos.
Lorsqu’on débute l’écriture, on écrit souvent du livre de niche : biographie, roman sur la base de la mythologie, polar sur la base de « true crime », les fourmis, etc.

Il existe une raison à cela : c’est le meilleur modèle pour entreprendre (et oui, être auteurice, c’est aussi une entreprise pro).
D’abord parce qu’au cours des recherches, il est aisé d’identifier si oui ou non on va avoir un public.
Ensuite, ça concentre les recherches en un point clé : si j’écris sur un crime qui a eu lieu, je vais pas devoir cumuler recherches historiques, 40 ans de littérature comparée, etc.
Enfin, on sait qu’on va conserver une liberté à la production et à la promotion : c’est un produit de niche, le discours est extrêmement ciblé et un jour on écrira éventuellement une suite, ou pas.

Par opposition, le roman de gare c’est celui qui prend des risques.
IL DOIT PLAIRE A TOUT LE MONDE ou presque.
IL DOIT ÊTRE DOCUMENTE SUR TOUT ou presque.
Et si on échoue à l’un des deux, il ne se vend pas.

Parce que le roman de gare, c’est pas un roman pour lequel on fait de la promo.
Il n’a que 3 facteurs de vente : sa couverture, son 4e de couverture et le nom qu’il porte.

Mais alors pourquoi diable des gens se compliquent à la vie à écrire du roman de gare ?
Parce que ces auteurices ne souhaitent pas censurer la multitude d’idées qu’iels ont quotidiennement.
Et je pense que c’est un fait remarquable qu’on doit saluer.
Ecrire un roman est difficile ; être prolifique est un travail monstrueux qui devrait recevoir autre chose que l’habituel mépris qu’on offre à ce type de production, pas très loin de « ouais ben iel écrit 5 livres par an, ça en dit long sur la qualité ».

Il y a quelques années, j’ai chroniqué « double jeux », un roman de gare (assumé par l’autrice).
Ce livre était excellent.
Le seul accroc que j’ai eu avec était en rapport avec le traitement d’un personnage dépressif et il s’est trouvé que c’était une projection de son propre malheur à l’époque, rien à redire.

En discutant avec l’autrice du côté prolifique et des contraintes que cela impose (allez faire de longues recherches quand vous voulez sortir un livre par trimestre) je me suis rendue compte d’à quel point l’élitisme littéraire était profond : « nia nia nia, c’est sûrement du réchauffé pour vendre au plus grand nombre »… comme… les blockbusters au cinéma, la facilité en moins ?

Ecrire des livres blockbusters de gare nécessite une expérience monstrueuse : ça revient à pouvoir s’emparer de n’importe quel sujet et en faire une romance, ou un polar, au format poche, en minimisant le temps de recherche, en minimisant le temps d’écriture + relecture + correction, en bossant avec quelqu’un sachant précisément quoi faire en couverture sans 40 aller-retour en validation, le tout de manière à ce que le grand public apprécie globalement ce récit qui va l’accompagner le temps d’un trajet en TGV, en lieu et place de son (télé)film préféré.

Si quelqu’un dit « nah mais n’importe qui peut le faire », je l’invite vraiment à essayer, je pense que dans trois semaines on assistera à un abandon par KO technique.

Bref, de toute façon, les mythes sont des signes d’ignorance.

Littéralement, hein.
Les mythes, à l’origine, ce sont des histoires, des légendes, qu’on raconte pour « expliquer » les phénomènes qu’on ne comprend pas.
Ceux sur les métiers n’y font pas exception, en particulier dans les domaines artistiques que l’on méprise surtout pour ne pas avoir à reconnaître le pouvoir dont ils disposent.

L’important, c’est moins ce que les gens croient savoir de l’écriture que ce que toi tu rêves de porter au bout de ta plume.
Que tu manies les mots comme Zorro manie son épée ou que tu aies besoin d’une personne qui aura tes arrières, que tu aies envie d’aborder un sujet hyper ciblé ou que tu rêves d’écrire pour cette personne qui investit chaque semaine dans cette future bulle de bien être lui faisant oublier les autres passager de son TER matinal, ce qui importe c’est que tu te donnes les moyens d’accomplir ton rêve.

Il y aura toujours du monde pour manquer d’éducation et te dire que « c’est nul », que « un enfant pourrait avoir écrit ça » (le bonus agisme, quel plaisir…) ou pour demander « mais qui s’intéresse au poisson chauve-souris avec des lèvres rouges ??? ».

Ecris, rature, corrige et surtout, prends le temps d’apprécier chaque petite avancée, chaque correction validée et ce moment magique où tu peux dire que c’est disponible à qui veut découvrir ta plume.

Trie les retours, analyse ce qui est constructif et écris encore, tant que tu as des idées et des rêves, écris.
Peut-être que ça sera un livre par décennie, peut être que ça en sera 4 par an, peu importe.
Ce qui compte c’est que ce qui a illuminé un peu ton cœur puisse aller en illuminer d’autres 🙂

Bon et reviens partager ici les mythes claqués au sol que tu auras entendu sur l’écriture 🙂
Et puis donner un conseil que tu aurais aimé avoir plus tôt.

Fais tourner !

2 réactions sur “ Les mythes absurdes autour de l’écriture ”

  1. Ping Du contemplatif - Julie -Animithra- FERRIER

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