Ce que j’aimerais que la presse en dise

Ces derniers temps, je travaille sur plusieurs manuscrits en même temps, dont un particulièrement noir et engagé, qui va être soumis au culot à une plume magistrale, pour avis, pour préface s’il en est digne et, au cours d’échanges en marge de cette réalité et celles de salons approchant, on m’a posé une question intéressante : “le jour où on écrira un article sur toi, tu voudrais qu’il dise quoi ?”.

En voilà une question intéressante, d’autant que je n’avais jamais envisagé de me la poser alors que mon expérience à la Necronomicon aurait quand même du me pousser un peu à savoir au moins identifier ce que j’entends que l’on raconte à mon sujet.

Alors j’y vais, je me prête au jeu et je vois déjà d’ici le gros titre dont je rêve : “Utopies et militantisme d’une nonpersonne”.
Tu l’avais pas vu venir celle-là, pas vrai ? 😛

Un statut de “nonpersonne” que je chéris de tout mon cœur.

“Mais… Mais ! Julie, le but d’un papier sur soi, c’est de faire valoir son nom, c’est de laisser une trace… WTF ?”

Je sais que c’est l’approche de beaucoup de gens, probablement à raison, car c’est effectivement comme cela que fonctionnent les choses pour le commun des mortels.
Mais je crois l’avoir déjà dit dans quelque papier militant publié un jour : ce commun des mortels, je n’en fais pas partie, c’est une place qui m’est refusée par la société parce que je proviendrais de sa lie et je me ferai, chaque jour où ce sera possible, le plaisir et l’honneur de lui donner raison en célébrant ce statut si spécial de nonpersonne.

Il y a quelques semaines, je vous expliquais que j’aurais aimé qu’on me conseille plus tôt d’écrire les histoires que j’aurais voulu lire.
Ici c’est exactement la même chose qui est à l’œuvre.
Les interviews sont des histoires et je veux que la mienne soit l’occasion pour toutes les nonpersonnes d’entendre la voix de quelque adelphe ayant réussi, par on ne sait finalement trop quel miracle, à se hisser par delà le mur de la ségrégation socio-politique qui nous a toujours frappées, nous les nonpersonnes.

Si demain un projet (au pif, le secret “Spiders Hunters”) devait être mon passeport pour un peu de visibilité journalistique, je tiendrais à ce que la presse raconte mon parcours de nonpersonne.

Bon, encore faut-il définir ce que c’est…

Je suis une nonpersonne.
Je suis un·e noncitoyen·ne, ayant grandi sous la coupe de la DDASS (désormais malnommée ASE).
Je suis un·e nonneurotypique.
Je suis un·e nonparent·e au modèle familial typique.
Je suis un·e nonpolitiquement correct·e.

Je serais le paradoxe de la personne qui serait assez pour donner une interview tout en n’étant fondamentalement rien.
Et je serais surtout l’avatar de cette population que l’on cesse d’ignorer que pour mieux la stigmatiser, jusqu’à la tête de l’Elysée.

N’être personne pour mieux répondre aux attaques comme celle du Président Macron.

Cela ne t’auras pas échappé, nous connaissons une période sociale sombre, entre inflation, précarité croissante, violences policières et… Mépris présidentiel constant.

Rarement il m’avait été donné de voir quelqu’un avoir une haine aussi profonde envers des populations données, Macron marquera vraiment l’Histoire d’une sombre pierre ; en même temps, qu’attendre d’autre d’une personne qui a réhabilité le Maréchal (sic) Pétain…

Lui, le “Président de tous les français”, a contribué à forger la nonpersonne que je suis, en me rendant, dans l’un de ses discours, définitivement apatride (hilarant quand on sait qu’administrativement, ce statut ne saurait exister en France).

Tu penses peut-être que je divague, pourtant c’est bien Macron qui nous a jeté, mes adelphes et moi, en pâture à la presse, dans une interview en marge des émeutes liées à l’exécution de Nahel.
Ne pouvant condamner les violences policières pour ne pas se fâcher avec ses amis d’extrême droite, il fallait bien que ça retombe sur quelqu’un.

Quoi de mieux, dès lors, que les mères célibataires et les enfants de l’ASE ?
C’est pas comme s’il était au moins responsable de l’état des seconds…

Des nonpersonnes, dont on se fiche de connaître les violences qu’elles vont endurer par ricochet, après tout, qu’est-ce qu’on s’en tape !

Non vraiment, tout le monde s’en tape, sauf nous, les concerné·e·s.
Tu veux une preuve ?
Je vais te présenter trois faits.
Pas des avis, pas des présomptions, des faits.

1/ L’ASE est devenue une sphère de spéculation où les foyers et toutes les formes d’hébergement doivent être rentables ; les jeunes crèvent dans les foyers, dans les hôtels (où leur placement était illégal, mais ne l’est plus, merci Macron), dans les campings…
Et ? Blast en a parlé (fouille, plusieurs vidéos sur la thématique de l’ASE), les gens ont globalement chialé devant le film réalisé à partir du livre témoignage de Lyes Louffok et… Voilà.
On vous a inspiré 1h30 de pitié, retour au placard, à jamais.

2/ L’ASE est la raison pour laquelle on n’obtiendra jamais mieux que “parent 1” et “parent 2”.
Tu sais, quand tout le monde chouinait que les LGBTQIA+ étaient “des fragiles” à plus vouloir les mentions “père” et “mère” et que la question de la mention “représentant légal” plutôt que “parent” est vite passé à la trappe.
Non mais imagine, une scolarité où on aurait le droit à une vie privée, sans que toustes nos profs sachent qu’on est placé·e·s et sans plus pouvoir nous traiter comme des criminels comme le fait Macron… Ce serait regrettable quand même de mettre un terme à du harcèlement moral constant.
Imagine, on vivrait mieux, on apprendrait un peu mieux, on serait plus de 17% à atteindre le bac, on serait moins en colère, moins à finir SDF aussi.
Ah ouais non, on pourrait plus nous traiter comme des pestiférés.

3/ Parce que oui, en fait, quand je dis que je suis de la lie de la société, c’est quand même bien parce qu’on nous traite comme des pestiférés.
Un exemple très concret : nos colos de vacances.
Pardon, je refais : NOS colos de vacances.
Oui parce qu’on va pas nous mélanger avec vous, les gens qui ont le droit à une vie dans la lumière.
Nous, on nous parque à part.
Par contre, on nous trie pas entre nous, tant pis si les vécus sont différents, les violences intériorisées pas du tout les mêmes.
Il s’agit juste de nous occuper quelques jours, qu’on dise merci au gentil Etat providentiel pour ces séjours qui vous préserve de notre existence et qui permettent de nous rappeler que nous ne sommes les enfants de personne, que nous sommes seulement des personnes jetables.

J’ai une fierté à être une nonpersonne qui émerge dans des sphères censées lui être inaccessibles, j’en ai plus encore à pouvoir porter nos voix.

N’être finalement personne pour que seul le message compte.

La presse, c’est quand même le principal outil de propagande de la méritocratie, ce système qui prétend que plus tu as de mérite, plus tu dois avoir de récompense et de confort.
Quel bullshit.

Si nous étions réellement en méritocratie, le pouvoir serait détenu par des nonpersonnes, parce que peu importe comment tu penses en avoir chié dans ta vie, ça sera toujours pire pour nous.
Et nous, on sait que c’est pas un concours.

Mes engagements et le fait que je refuse très souvent de parler de certains aspects de mon quotidien, comme mes atypies, dans un cadre qui ne l’exige pas absolument, sont ce que je veux laisser.

Pas mon nom, on s’en tape royalement de mon nom, on s’en tape de savoir quand je suis né·e, quel est mon foutu signe du zodiaque et autres infos superficielles du genre.
Ce qui compte, ou en tout cas ce que je veux faire compter, ce sont les absurdités dans mon parcours, les discriminations subies, pour que deux choses restent à la fin : un appel à ce que tout le monde, toi compris, arrête de fermer sa gueule en détournant les yeux, et un message d’espoir pour mes adelphes.

Je me fiche bien de savoir si quelqu’un serait capable de me reconnaître un jour dans la rue, en fait je n’espère pas qu’un tel jour arrivera, même si je devais faire percer un ouvrage comme le manuscrit dont je parlais plus tôt.
Ce que je veux, c’est que le concept reste.

Un peu comme le jocker dans Gotham, qui transcende l’humain qui le représente initialement.
Un peu comme Banksy, dont l’identité est source de nombre de spéculation, mais dont le travail, les machinations et les revendications seront éternelles.

Pur utopisme que d’espérer voir la presse me traiter un jour de la sorte ?
N’oublie pas que pour moi, les utopies ne sont que les rêves que nous n’avons pas encore concrétisés.
Ce qui est utopique, pour l’instant, c’est de croire que la presse pourrait bien en avoir quelque chose à faire de moi un jour.
Si ça devait se produire, personne ne pourrait prédire l’issue des échanges.
Et il ne me semble pas si improbable que mon être socialement méprisable soit suffisamment médiocre pour que les messages de mes livres les supplantent.
Peut être qu’on ne dira pas que je suis une nonpersonne, peut-être que la presse titrera plutôt “woke jusqu’au bout de la plume”.
On s’en fout, le résultat sera le même, ça parlera de mes idées, même si c’est dans l’optique de les détruire.

Quoi que la presse en dise, si elle en parlait, ça serait déjà une victoire.

Parce qu’au final, c’est ça la réalité : si demain la presse parlait de mes positions, en bien ou en mal, qu’importe.
J’aurais ce pied, enfin, plutôt ce bout de chaussure, dans la porte.
Et avec moi, toutes les personnes que la société se donne tant de mal à invisibiliser chaque jour qui passe.
Et ce que j’en retiendrai personnellement, à la fin, quand ce jour arrivera (on sait, toi et moi, qu’il arrivera, parce que j’ai une trop grande gueule pour pas finir au moins conspué·e dans un torchon d’ED malaisant, à défaut de meilleure presse), c’est que la moindre voix qui sera entendue par ce biais, le sera grâce à toi qui me lis, toi qui auras acheté mes livres, toi qui auras simplement ouvert ton cœur à la possibilité que l’un de mes récits porte une histoire qui vaille le coup d’être lue.
Alors tu vois, on s’en tape d’inscrire mon nom dans un marbre quelconque, parce qu’à la fin, c’est vous toustes qui faites de moi le messager des revendications que mes textes font vivre.
Merci.

Fais tourner !

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