En quête d’équité : chapitre premier

Je vous laisse découvrir la version alpha du premier chapitre du livre “les aventuriers d’Orkradour, en quête d’équité ” pour que vous puissiez goûter à ma plume avant d’investir dans ce tome !
Il pourra se découvrir indépendamment de “en quête de pouvoirs” et a pour thème central le féminisme.


Chapitre premier : de plumes et de sang.

Un vent glacial mordait les os d’Elyona, une Fée prêtresse perdue dans un épais brouillard de poussière, au milieu des terres de Circælya, transformées en un gigantesque champ de bataille.

Plissant les yeux, elle scrutait les environs à la recherche de son adversaire, une Succube prénommée Céréna.

Une hallebarde siffla près de son oreille droite comme pour lui offrir un semblant de réponse.
Leurs regards se croisèrent et, d’un hochement de tête, la démone parut accepter la trêve que la Céleste lui proposait.

Du haut des sommets de la montagne des hystériques et la cage à ciel ouvert dans laquelle elle avait été jetée, une Elfe des forêts du nom de Linaewen suivait depuis des minutes interminables, inquiète et impuissante, l’évolution du conflit entre les deux sœurs.

De l’autre côté du champ de bataille, non loin de Didelos (littéralement, la cité de la détestation des femmes), un nain à bonnet dino traçait une myriade de runes avec du sang de licorne, incantant des sorts interdits qu’aucun mortel n’aurait jamais dû connaître.
Lorsqu’il acheva son immense fresque, il déchaîna une tempête d’énergie obscure, laquelle vint galvaniser Céréna.

Elyona s’apprêtait à la rejoindre dans les cieux pour avoir une discussion trop souvent reportée, quand elle sentit une douleur aiguë frapper sa colonne vertébrale et la paralyser.

La Fée perdait de l’altitude, sous le regard ahuri de la Succube, stupéfaite de voir que le projectile ayant atteint sa sœur, une fléchette maudite, était de ceux habituellement tirés par son maître à la sarbacane.
Un maître qui la terrifiait désormais.
Un maître qui la contraignit, par un sort de nécromancie, à revenir se poster à ses côtés.
Face à la scène, le désespoir de Linaewen explosa ; le corps de la sylvaine s’enveloppa d’une énergie mystique avant de dépérir à son tour.

Le vent se fit de plus en plus violent, devenant tornade, puis cyclone.
Piégée dans les courants d’air destructeurs, Elyona mobilisa le peu d’énergie qu’il lui restait pour adresser un ultime message par télépathie à la démone.

Près de Covafiriath, ville de l’Union, un Gnome du nom de Duncan avait évacué les civils et le plus gros des troupes à l’aide d’un V0RT3X-o-9000. Désormais, il cherchait sa camarade paladine pour la mettre à l’abri et lui éviter un sort funeste semblable à celui de leurs amies.
Dans l’obscurité qui s’installait, il devina sa silhouette, ployant le genou sous le poids des trop nombreux coups encaissés.
Soudain, les runes sacrées ornant le corps de la Blanctachée s’illuminèrent. La Nomade plongea devant le petit être, déployant de larges ailes dorées qui s’empourprèrent aussitôt, et tomba, raide morte.
Au loin, des loups hurlèrent à la mort.

Elle venait de recevoir le puissant coup de griffe de l’un des Créateurs, et pas n’importe lequel puisque, dissipant son voile d’invisibilité, tous purent le voir : le Fernherdir en personne marchait parmi eux.

La bataille, qui opposait les forces de l’Union à celles de la Confrérie des Prouts et à la troupe de mercenaires à la botte du courtaud, prenait un tournant des plus dramatiques.

“Tu choisis donc de croire ce manipulateur plutôt que tes amies ? Parfait, tu ne mérites plus ta part du butin depuis longtemps, de toute façon !”

La voix de Gorda avait résonné dans l’ensemble des rues rocailleuses d’Ereptor, antique et incontournable citée naine ; le bruit du fracassement du verre après l’explosion d’une fenêtre à travers laquelle elle avait jeté Céréna se réverbéra de la même façon.

Linaewen et Elyona, revenant de mission, accoururent pour secourir la Succube lourdement retombée sur les pavés après avoir traversé une vitre et peinant à se relever.

Hache en main, Gorda passa la porte du “Tombeau des gnoles”, bien décidée à en découdre encore, sans que l’Elfe et la Fée ne saisissent ce qui avait attisé ainsi sa colère.

“Vous ne comprenez pas ?
Suffit de lui demander.
C’est quoi déjà ?
Ah oui, nous sommes de viles personnes, jalouses de sa relation avec l’autre nabot à bonnet dino, et nous lui voulons du mal, parce que nous sommes des vierges bourgeoises.”

Le “nabot à bonnet dino” était un Nain qu’elles avaient brièvement croisé au cours d’une mission dans les environs de la cité. Il avait pris Céréna en affection, mais Gorda s’en méfiait comme de la peste, le soupçonnant de profiter de la vulnérabilité de certaines personnes afin d’assouvir ses pires desseins.

Si les disputes des deux amies à ce sujet n’avaient rien d’inhabituel, jamais personne n’aurait pu imaginer les proportions qu’elles prenaient.

Tandis que Gorda maugréait quelque chose pour faire changer Céréna d’avis, un cercle mêlant des nuances de noir et de mauve apparut sous les pieds de la Succube, soignant ses blessures et décuplant sa magie.
D’un bond, elle s’éloigna de ses anciennes alliées, avant de déployer d’immenses ailes couleur ébène et un regard rougeoyant.

“C’est quoi, au juste ?
Une démonstration de ta puissance ?
Dans tous les cas, c’est pathétique, la seule chose que tu montres, c’est que tu prétends que nous voulons ton malheur alors que la seule personne violente ici, c’est toi.
Tu te retournes contre les gens qui t’aiment au profit d’une personne qui ne cherche qu’à tirer profit de tes faiblesses.
Ouvre les yeux, bordel !”

Cette fois, leurs deux comparses ne comprenaient plus rien à la scène surréaliste qui s’offrait à elles.
Elles envisagèrent d’intervenir mais, d’un signe de la main, la Succube leur intima de s’abstenir.

“Tirer profit de mes faiblesses ?
Parce que vous ne l’avez jamais fait ?
J’ai été utilisée par le Régent Tendrasil à cause de vous, par votre ami nécromancien pour vous, par Mogredir qui s’est prétendue mon amie pour me dérober ce que je pensais être l’amour de ma vie, et maintenant qu’une personne me met en garde, vous l’accusez d’être un manipulateur qui ne vivrait que pour tirer profit de moi ?
Il ne faut pas manquer de souffle pour oser proférer de telles inepties.
Mais je vais te pardonner, Gorda. Après tout, tu es une Nomade, c’est un peu compliqué pour les gens comme toi de comprendre.
Peut-être que si j’avais parlé Ogre, ça aurait pu être de ton niveau.”

Elyona eut tout juste le temps de lancer un sort de constriction de Lumière pour empêcher Gorda de charger.
Elle ne comprenait toujours pas ce qu’il se passait, mais elle sentait qu’en dépit de sa force, la Paladine ne pourrait pas défaire la corruption qui habitait le cœur de Céréna.

“T’as de la chance qu’on me retienne.
Barre-toi.
Ne reviens plus jamais.
Tu n’es qu’une traîtresse.
Tu te plains de toutes les affres subies, mais tu fais largement pire.
Tu m’écœures.
Finalement, les gens ont raison : si après un passage à Fernamar, on se relève en démon, ce n’est pas par hasard…”

Elle avait volontairement employé un ton provocateur, espérant enfin déclencher une réaction cohérente chez son interlocutrice.
Elle put voir des larmes de sang envahir les yeux de Céréna et crut un instant avoir réussi.
Puis les sourcils de celle-ci se froncèrent, ses poings se serrèrent et, finalement, dans un soupir d’agacement, son ancienne compagne de route tourna les talons.

Gorda tomba à genoux après qu’Elyona eut dissipé ses entraves.
D’un geste de la main, elle l’invita, ainsi que l’Elfe, à venir s’asseoir à une table de l’auberge.

“Le temps de reprendre des forces et de nettoyer le bordel que j’ai mis pour pas que le patron râle trop et je vous rejoins”.

Son ton était franc et toujours aussi déterminé, de sorte que ses amies n’eurent pas l’envie d’émettre la moindre objection.
Elles prirent place à l’intérieur, à proximité de la cheminée, qui leur réchaufferait le corps à défaut de pouvoir leur réchauffer le cœur après cette entrée en matière incompréhensiblement violente et douloureuse, tandis que la Nomade s’affairait déjà à remplacer la fenêtre qu’elle avait brisée, avant de nettoyer les débris de bois et de verre qui jonchaient le sol et la rue.

***

“À voir ta sale tronche, je suppose que j’avais raison : je suis désolé pour toi Céréna.”

La succube titubait, comme enivrée par le tourment et étourdie par la colère dans laquelle l’avait laissée sa rencontre avec la paladine.

“Elle me croit incapable, elle pense que je suis une petite chose fragile.
Et elle me menace devant les autres en plus.
Elle me fait passer pour la méchante.
Tout le monde me fait toujours passer pour la méchante.

– Non, moi, je ne te fais pas passer pour la méchante !

– Oui, pardon Kris, mais tu es bien le seul.

– C’est parce que je suis extraordinaire !
Plus sérieusement, parce que moi je veux ton bien.
Tu sais, j’en ai connu des trahisons.
Je t’ai raconté ce qui m’est arrivé quand j’ai débuté l’aventure ?
L’histoire avec la prêtresse ?

– Non, mais je devine qu’elle t’a trahi ?

– De la pire des façons.
Je débutais l’aventure, j’allais faire ma quête de classe pour devenir un valeureux guerrier et j’ai passé une annonce pour trouver une compagnie qui voudrait bien de moi.
Par contre, assieds-toi, ça va être long. Prends donc un broc de bière et une bouffée du seul mari qui ne t’assommera qu’avec du plaisir et de la détente.

Elle s’exécuta, buvant ses paroles et une bière trop tiède pour être bonne tout en consommant une drogue “trop douce pour être dangereuse” de l’avis de son nouvel ami.

– Où j’en étais, moi ?

– Tu disais que tu avais passé une annonce.

– Ah ouais, voilà.
J’avais foutu ça dans toutes les auberges du coin.
J’ai même dit que je pouvais cuisiner ou apprendre un autre métier pour ma compagnie. je m’en fous : travailler, je ne demande que ça.
Mais les gens ne me répondaient pas, parce que je suis trop différent et ils n’aiment pas les gens différents. Tu vois ce que je veux dire.

Elle voyait exactement ce qu’il voulait dire.

– Gorda vient de me rappeler que je ne suis qu’une démone et la preuve que j’étais une mauvaise personne dans ma vie d’avant.

– Mais c’était la vie d’avant, et puis c’est quoi, une “mauvaise personne” ?
Qu’est-ce qui prouve qu’ils ne se sont pas plantés là-haut ?
Bref, j’étais comme toi et là, d’un coup, y a cette fille qui m’envoie un message pour me dire qu’elle veut bien m’accompagner.

– Du coup, vous avez formé une compagnie avec un duo de débutants ?

– Ah non, elle débutait pas, elle était déjà niveau 20. Elle voulait me rush et tout… enfin, c’est ce qu’elle disait.

– Elle t’a laissé tomber pendant un donjon ?

– Même pas.
On a fait le premier donjon les doigts dans le nez et j’ai débloqué ma classe.
Puis on a enchaîné les missions.
Mais j’ai commencé à sentir un truc louche, genre, elle me filait le matos qui tombait pour ma classe et c’était tout.
Tout le reste, c’était pour elle.

– Hmmm.

– Et puis un soir, en rentrant de mission, on parlait et j’ai trouvé qu’elle était très… Comment dire ?

– Froide et distante avec toi ?

Céréna se remémorait les derniers instants avec Sacdos, avant qu’il ne se plonge dans trois longs jours de réflexion et ne décide de faire ce choix absurde qui avait bouleversé leur vie à tout jamais.

– Non, tout l’inverse !

– Quoi ?!

Elle était interloquée, croyant entendre son histoire racontée autrement et ce n’était pas le développement attendu.

– Ah, tu imagines que ça s’est bien fini ?
Tu crois que je serais là sinon ?
Écoute bien !
Ouais, elle m’a fait du rentre-dedans comme jamais personne ne l’avait fait.
Elle m’a vendu du rêve, elle voulait tout plaquer pour moi, on aurait été le duo parfait, elle aurait même tout arrêté avec son chéri barde, parce que quand il chantait pour elle, elle ne voyait plus que mon visage et notre avenir !

– Laisse-moi deviner, elle a fait pareil avec un mec après toi ?

– Même pas ! Elle a juste pas assumé et elle a disparu du jour au lendemain, en emportant plus de 200 000 pièces d’or avec elle !
Une voleuse plus qu’une prêtresse si tu veux mon avis !

Céréna soupira ; finalement, c’était bien la même histoire.

– L’amour n’existe pas pour nous, on dirait.

– Moi, je t’aime, Céréna ! C’est pour ça que je te dis de mettre de la distance et de te méfier de ces gens-là.
Reste avec moi, on avancera ensemble.
J’ai déjà un super plan pour un donjon avec plein de pognon à la clé !

– Pourquoi tu ferais ça ?

– Parce que moi, je crois que la vie c’est de dominer le monde, en ayant plein de tunes et en ayant toutes les femelles qu’on veut.
Enfin, tu vois ce que je veux dire.

– Je crois, oui.

– Allez, ça va le faire.
Faut que tu t’occupes, c’est tout.
À ta place, je réfléchirais déjà à quoi chasser et ramener pour cuisiner ce soir.

– Bonne idée, ça m’évitera de penser aux autres.
Merci.

– T’en fais pas. Je suis toujours là pour être ton ami, tirer un coup, faire plein de tunes, gagner en niveau, la célébrité, tout ça, tant que tu ne me trahis pas.”

Elle sourit tristement, peinant à entrevoir des jours meilleurs, même si elle était persuadée qu’il disait la vérité.
Elle prépara ses affaires et partit en quête de quoi faire un bon repas pour deux au soir.

Lorsqu’il l’estima suffisamment loin, il sortit un parchemin enchanté pour diffuser une annonce : deux aventuriers dont une magnifique succube cherchaient de jeunes personnes, elles aussi avec des différences notoires, pour former une solide compagnie qui atteindrait, sous sa supervision, la gloire désirée.
Une rune spéciale tracée au bas de la lettre assurerait qu’elle soit placardée dans les lieux accueillant ces publics spécifiques en priorité.

Le papier s’anima et s’envola, le laissant seul avec un sourire satisfait.

***

Gorda descendait sa vingtième bière tandis que Linaewen et Elyona spéculaient sur les raisons qui l’avaient poussée à défenestrer Céréna.
Reposant sa chope vide sur la table, la Nomade fouilla frénétiquement ce qui semblait être un sac à dos en peau de Gradon, pour en extirper un ordre de mission de type “appel à l’aide”. Cette nouvelle classification de missions permettait d’isoler les alertes urgentes, très souvent sur fond de trouble diplomatique, nécessitant un enrôlement immédiat.

L’Elfe se saisit de la note et la lut à haute voix ;

“Chères sœurs,

Les terres de Circælya souffrent le retour d’un mal connu, mais pourtant invisible, meurtrier, mais pourtant ignoré, qui ne cesse de décimer nos rangs jour après jour.
Nous appelons à l’aide toutes celles qui voudront bien nous prêter main-forte.
Les personnes alliées sont bienvenues tant qu’elles n’y voient pas une opportunité d’asseoir leur propre autorité sur le dos des victimes et de leurs proches.

Une récompense conséquente sera remise à la troupe qui réglera le problème de fond que nous rencontrons depuis trop longtemps à présent et qui redorera le blason de notre contrée, pour qui l’équité a toujours été un maître-mot.

Skadia, leader suprême”

– Circælya ?
Ce n’est pas la contrée érigée entre les terres des Elfes et celles des Nains, réputée pour son équité homme-femme depuis des millénaires ?

– Si, Elyona, c’est bien ça.
Seulement, aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

– Des hommes ont tenté de reprendre le pouvoir ?
Ce ne serait pas une surprise de la part des Nains…

– Si ce n’était que ça, mais non, Linaewen ; le mal est bien plus profond.
Évidemment qu’il y a toujours des partisans du patriarcat pour tenter d’affaiblir le régime, mais là, ça va au-delà de ça.
On parle d’un mal qui ne montre pas son visage.

– Les Tulipes Noires.

– Si tu connais ce nom, alors je suppose que les célestes sont déjà tous au courant et qu’ils n’ont pas le droit d’intervenir, n’est-ce pas ?

– Les célestes n’ont jamais le droit d’intervenir dans des guerres fratricides ou sororicides.

– Alors ma décision est prise, je partirai m’enrôler demain matin.”

Gorda se leva commander quelques sangliers rôtis et une nouvelle tournée de pintes, avant d’adresser un signe à ses amies pour confirmer la commande de lait elfique et de nectar multifleurs, puis revenir les bras chargés de boissons.

“Je suis sans doute aussi inculte que d’habitude, mais je me demandais…

– Les tulipes noires sont des féministes qui estiment avoir le droit de déterminer qui est une femme et qui ne l’est pas, Linaewen.

– Qui est une femme et qui ne l’est pas ?
Mais c’est complètement absurde, y a besoin de personne pour définir ça !”

Elyona eut un petit mouvement de recul et Gorda préféra trancher la question sans ambiguïté :

“C’est clair que c’est absurde ! C’est pourtant pas compliqué : si une personne parle d’elle-même comme une femme, c’est une femme ! c’est simple, même un marcassin comprendrait !

– Exactement, alors comment ça se fait qu’un groupe pareil puisse exister et aller jusqu’à mettre en péril une si belle organisation que celle de Circælya ?

– Je pense que la réponse est relativement simple, Linaewen : les Tulipes Noires pensent que Skadia n’est pas allée assez loin et que la vraie solution aurait été un matriarcat qui aurait assouvi les non-femmes, comme le patriarcat l’avait fait avec elles.
C’est ça l’esprit, Gorda ?

– Ouais, c’est l’idée, mais en plus sombre.
Non seulement elles veulent la domination des non-femmes, mais en plus, elles veulent ranger des personnes opprimées avec les hommes.
Et pour te répondre, Linaewen, c’est facile pour elles de convaincre.
Repense à toutes les fois où Zegrim sort un truc misogyne et s’empresse de dire que ça m’inclut pas.
Pour lui, je ne suis pas une femme, je ne corresponds pas à sa vision de la féminité et pour les tulipes, je suis du côté de l’oppresseur.

– Mais, par Edelfin, c’est complètement idiot !
Cela veut dire qu’une femme ne peut pas choisir d’être une personne forte ?
Alors pour dominer le monde, elles doivent obligatoirement être vulnérables ?

– Pas pour autant, en plus il ne faut pas jouer de sa beauté ni de ses atouts.
Par exemple, et je dis pas ça en pensant que vous en jouez, mais par rapport aux réactions des mecs quand on part en mission, vous deux, vous passeriez pour des “choisis-moi”.

– Euh ?!

– Le terme auquel Gorda fait allusion est usé pour dire qu’aux yeux des Tulipes Noires, nous ferions en réalité tout pour plaire aux hommes, donc que nous sommes du côté de l’oppresseur.

– Mais c’est aussi complètement idiot !
On le fait parfois parce qu’on a pas le choix, mais justement on n’a pas le choix, parce que c’est leur domination qui le rend impossible !

– Tu as capté la moitié du problème.
Et je compte pulvériser l’autre moitié à la hache.

– L’autre moitié, c’est quoi ?
Attends, laisse-moi deviner : si on se bat, on n’est pas des femmes ?

– Non, c’est si tu n’es pas née femme.

– Mais…

– C’est complètement idiot, on est d’accord, Linaewen.
Je te prête une hache si tu veux.

– Non, mais c’est même pas que ça soit idiot… c’est qu’on sait que c’est faux, au sens où, avec le fonctionnement de Fernamar et les réincarnations qui ne maintiennent pas le genre… à part les Premiers Nés, personne ne vit dans son corps d’origine, donc parmi les Tulipes Noires, y a forcément des femmes qui ne sont pas nées femmes.

– C’est ce que j’ai tenté d’expliquer à Céréna…
Mais elle a commencé à être désagréable en parlant de toi, Elyona.”

Celle-ci se crispa de nouveau.
L’Elfe prit sa main dans la sienne et chercha à la rassurer :

“Je suis désolée, ça fait un moment qu’on sent bien une tension entre vous.
Cela ne doit vraiment pas être évident pour toi comme situation.”

De ses yeux lilas, Elyona dévisagea la sylvaine en se demandant comment elle pouvait savoir.

“Cela ne l’est pas en effet.
Et je suis navrée de ne pas savoir comment aborder la question en temps normal.

– Tu n’as pas besoin de le faire, tout le monde a saisi le sujet et personne ne t’en veut, tu sais.

– Vraiment ?!
Je ne m’attendais pas à ça, comment…

– Bah oui, c’est évident qu’une Fée et une Succube ne peuvent pas s’entendre ; si c’est une démone, c’est bien qu’avant sa réincarnation, c’était l’une des pires créatures d’Astria et vraisemblablement un mâle, alors ça doit être pénible à côtoyer en tant que Céleste.”

En guise de réponse, Elyona lui sourit doucement.
Lorsque l’Elfe quitta la table pour aller chercher les sangliers que Gorda avait commandés, la Fée croisa son regard rieur.
La Nomade se redressa, calant son dos bien droit contre le dossier de sa chaise face au sourire pincé de son amie.

“Je suis la dernière survivante de mon clan.

– Oh… Je ne savais pas.

– Tu n’aurais pas pu savoir, je ne parle jamais de ma vie, je ne parle jamais de moi et, en règle générale, je parle peu et d’une manière qui prête à supposer que je suis stupide, c’est un conseil qu’on m’a donné un jour.

– Parce que tu es une femme guerrière ?

– Parce qu’il ne faut pas que les personnes qui ont décimé les miens puissent savoir qui je suis.
En d’autres termes, mon passé doit rester dans le passé, il doit être tu, personne ne doit savoir que je suis une Blanctachée.

– Pourtant, tu me le dis.

– Oui, pour deux raisons.
D’abord j’ai confiance en toi, ensuite, je veux que tu saches que si un jour tu voulais parler de ton passé et des choses que tu dois taire, je serai là pour t’écouter et t’épauler.

– Un jour ?
Tu veux dire demain, sur le chemin ?

– Tu veux m’accompagner à Circælya avec ce qu’il s’y passe ?

– C’est mon devoir. C’est le devoir de toutes celles qui peuvent se battre.

– Est-ce que je me trompe en pensant que tu courrais vraiment un très grand danger ?

– Aurais-tu peur que je ne sois pas assez forte ?

– C’est pas ce que j’ai dit.

– Pourtant, tu aurais raison.
Mais je suis prudente et méticuleuse, ça devrait compenser.
Et puis, il faut bien que quelqu’un nous représente en Circælya et je doute que tant de Fées arpentent cette terre.

– Tu n’as pas peur que les Grands Décideurs prennent ça pour un affront ?

– S’ils prenaient cela pour un affront, ils devraient me punir pour de très nombreuses choses et reconsidérer jusqu’à la raison même de mon existence et de celles de nombreux Célestes.

– Ce qu’ils ne peuvent pas faire parce que ça reviendrait à dire que leur système est faillible…
C’est entendu, nous irons ensemble.
Et merci pour la ripaille, Linaewen.

– Avec plaisir, il faut qu’on ait le ventre bien plein pour pouvoir aller cueillir des tulipes !”

Elle était enjouée et si son jeu de mots avait laissé un instant Gorda dans l’incompréhension, l’idée de former un trio de choc prêt à défendre les droits de toutes les femmes en Circælya exaltait les trois sœurs de cœur qu’elles étaient.
La nourriture fut partagée, le pain fut rompu ; l’alliance était formée, l’espoir renaissait.

***

“Votre Éminence, un message vient de nous parvenir”

Un courrier apportait à Skadia une lettre pourvue d’un sceau de cire dorée au relief animal.
D’une main fébrile, elle se saisit de la note, invitant sa jeune lieutenante à s’asseoir.
Son regard se posa sur le papier, puis s’assombrit à la lecture.

“Comme si nous n’avions pas déjà assez de problèmes comme ça…

– Que se passe-t-il ?

– Les espions ont aperçu qui-tu-sais, rôdant aux alentours de la frontière à plusieurs reprises au cours des trois semaines passées.

– Il aurait rejoint les Tulipes Noires ?

– Aucune chance, elles ne tolèrent aucun mâle dans leurs rangs ou leur entourage proche.
Non, il va monter sa propre armée et nous allons être prises entre deux feux.

– Dans l’adversité naît l’union, ma sœur.

– Sauf que là, l’union risque de se faire en face.
Il veut nous dominer, elles veulent prouver que nous ne sommes pas assez fortes…

– Alors nous allons redoubler d’efforts pour trouver des allié·e·s rapidement.

– Je m’occupe de ça.
Toi, tu vas aller porter un autre courrier de la plus haute importance. Ne te fais surtout pas prendre et détruis-le si cela devait se produire.

– Entendu.”

Skadia saisit un parchemin et une plume magique, inscrivit quelques mots, plia le tout en la forme d’un loup et le remit à la jeune lieutenante.

“Attends, tu veux appeler la Mère Louve ?
Plus personne ne l’a aperçue depuis des siècles !

– C’est vrai, mais moi, je crois qu’elle est toujours de ce monde.
On va pouvoir vérifier ma théorie.
Prie pour que j’aie raison.

– Je prierai tout au long de ma route, ma sœur.”

Elle quitta prestement la tente de sa commandante pour se mettre en route vers les terres glacées de Lad’Heleg.

“Espérons que tu les trouveras avant qu’elles ne hurlent à la mort, ma sœur.
Les vents rapportent les rumeurs d’une guerre à venir ; une guerre assassine, de plumes et de sang.”


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